Plongeons dans le grandiose décor de Michel-Ange, création du monde au plafond, jugement dernier au mur, en somme tout un imaginaire géotemporel tel que l’ Occident chrétien l’a conçu depuis deux mille ans. 117 patrons territoriaux diocésains vont élire un chef temporel et spirituel en s’isolant du monde physique. Mais l’élection qui prend, dans les médias mais aussi les couloirs du Vatican, l’allure d’une compétition entre différentes personnalités définies par leur origine géographique. Et ici, il s’agit surtout de « continents » : Afrique contre Europe, Amérique contre Asie, rien pour la pauvre Océanie perdue dans le lointain. A quoi riment ces catégories ?
Dans son film Habemus Papam, Nanni Moretti avait organisé pour les cardinaux déprimés par la fuite de leur pontife une partie de volley ball dans la cour du palais apostolique. Là encore, les équipes en concurrence étaient constituées d’Africains, d’Asiatiques, d’Européens, etc. La partie qui va se jouer dans la Chapelle Sixtine courant mars démarre avec les mêmes fanions : en dehors des Italiens sur-numéraires, on nomme des « Asiatiques » comme le Philippin Luis Antonio Tagle, ou l’Indien Oswald Gracias, de Bombay, un « Africain » comme le Nigérian John Onaiyekan, nominé pour le Nobel de la paix, des « Sud-Américains » comme Odilo Scherer, de São Paulo ou le le pianiste, pilote, saxophoniste, pilote Oscar Maradiaga du Honduras. Avec en face des « Nord-Américains » comme Marc Ouellet du Québec ou Timothy Dolan de New York. Quelle représentativités de la géographie des catholiques ?
Que peut bien signifier ce match planétaire lorsqu’on sait que Joseph Ratzinger, un Allemand remarquable théologien mais peu charismatique, fut élu à 78 ans à la succession de son voisin polonais, Karol Wojtyla ? On a dit : justement ! Personne ne pouvait succéder à Jean-Paul II, mondialement connu, si ce n’est justement, un être effacé, timide, « rat de bibliothèque » comme il se définissait lui-même. La géopolitique n’aurait pas compté ? Que si, car Jean-Paul et Karol étaient voisins, partageaient les mêmes idées. Ils étaient comme les deux faces d’une même pièce. Mais aujourd’hui que tout le monde, y compris le pape qui s’efface, appelle à la « rupture », à « l’audace », l’Eglise va-t-elle prendre le grand large ? Chiche !
Le match romain est donc bien un match intercontinental, dessinant des grandes masses de territoires censées influencer le nouvel élu. En quoi un pape « africain » va-t-il « africaniser » les moeurs vaticanes et l’Eglise ? Qu’est-ce qu’un pape « latino-américain » peut apporter de « latino-américain » ? Pour le passé, la réponse est dans l’histoire du long règne géopolitique du Polonais Jean-Paul II, dans les huit ans de l’Allemand Benoît XVI qui a tenté quelques réformes. Dans ce jeu-là, les (nombreux) Italiens ont-ils encore leur chance ?
Le match intercontinental de Nanni Moretti et les fresques de Michel-Ange constituent un excellent cadre pour comprendre ce qui se joue dans le secret du vote au Vatican.
Pour en savoir plus :
texte et carte du géographe Cyril Froidure sur le site des Cafés géo