Tegucigalpa. Vous ne parlez pas le nahuatl ? Tegucigalpa veut dire « maison des pierres pointues » dans cette contrée d’Amérique centrale, appelée Honduras. Apprenez bien à prononcer le nom de cette capitale, elle va devenir un des lieux d’excitation médiatique les prochains jours.
Après tout, si le pape a rendu les clés du Vatican aux catholiques, tous ceux qui se sentent concernés parlent de cette élection, y pensent et, parfois, rêvent peut-être tout haut d’un huitième sac de Rome, le précédent forfait datant de 1527 et perpétré par les troupes de l’empereur très chrétien Charles Quint. Pour balayer la souillure dénoncée par Joseph Ratzinger. Sans être aussi brutaux que les lansquenets qui firent près de 40 000 victimes, les électeurs du nouveau chef catholique tentent d’évaluer l’ampleur de la tâche.
Sur la short list des papabili, nous avons déniché un ancien « curé des pauvres », un « évêque tiers-mondiste », un gamin formé chez les Salésiens de Don Bosco, déjà fort connu et qui pourrait attendre son heure. Comme aux JO, toute l’Amérique latine attend que ses champions tournent la page européenne de la papauté. Ce n’est pas possible ? Qui avait envisagé au Nouvel An 2013 que le pape se retirerait dans un monastère ?
Alors, à Tegucigalpa, vit ordinairement Oscar Andrés Rodríguez Maradiaga. Un évêque rouge, moins par sa soutane cardinalice que par son opposition au libéralisme et aux barons locaux de la drogue, s’étant fait une réputation qui redorerait le Vatican perclus de scandales. Il manage le bras armé de l’Eglise qu’est la Caritas internationalis, sans doute plus facile à piloter que la Curie romaine. Mais Rodríguez a, dans le civil, un brevet de pilote qu’il a passé au-dessus de la forêt tropicale, ce qui n’est pas une partie cricket dans les jardins du Vatican ni une soirée dans une cabane à sucre chez Marc Ouellet.
Sans doute s’est-il préparé au grand nettoyage qu’on pourrait lui demander en se formant en psychologie clinique et psychothérapie à l’université d’Innsbruck, après son doctorat de philo, son diplôme d’harmonie et de composition et ses deux autres thèses en théologie chez les Salésiens et à l’université du Latran en 1974. A-t-il jamais cessé d’apprendre ? Devant défendre les ouvriers d’une compagnie minière, il passe un diplôme de géologie pour ne pas se faire gruger par les ingénieurs. Dans son parcours, on le retrouve professeur de physique-chimie et de musique en collège. Lui qui rêvait d’être saxophoniste dans un orchestre de danse, il se contentera du piano, de la guitare et du marimba en disant aux foules des JMJ de Madrid que « la vie est une chanson« .
Notre candidat a 43 ans de combats derrière lui. Les pompes vaticanes ne sont pas trop son fort. Chez Don Bosco, il acquiert, lui fils de famille assez aisée, une grande attention à la lutte contre la pauvreté. En s’inspirant d’un très beau texte de Paul VI, l’encyclique Populorum Progressio, il apprend qu’une mondialisation n’est possible que si elle est juste et solidaire et le dit haut et fort. Porte-parole du Saint-Siège au FMI et à la banque mondiale, il dénonce le poids de la dette sur les pays pauvres et demande qu’on l’annule. Il vilipende « le capitalisme néo-libéral qui porte l’injustice et l’inégalité dans son code génétique. »
Ceux qui demandent à l’Eglise de lâcher du lest sur les questions familiales et sexuelles en seront pour leurs frais si on tient compte de ce qu’il a déjà exprimé. Il est « conservateur » comme on dit aujourd’hui. Mais il n’est pas un dogmatique et pourrait évoluer si les pays en développement sont prêts à suivre l’Europe et l’Amérique du nord. Ou tout simplement parce qu’il est un disciple du théologien Bernhard Häring. S’est-il fait piéger par les médis italiens en 2002 lorsqu’il reproche à la médiasphère de détourner l’attention du conflit israélo-palestinien par la médiatisation des abus sexuels des prêtres ? Rodríguez a beaucoup d’amis, y compris l’ancien président Chávez du Venezuela et des ennemis comme Manuel Zelaya, l’ancien président hondurien, revenu au pays après avoir été blanchi par la justice.
Les Latino-américains au dernier conclave avaient plutôt porté leurs voix sur le cardinal argentin de Buenos Aires, Jorge Bergoglio, sans doute parce qu’ils le trouvent capables de défendre les valeurs de l’Eglise sur ce continent. Sur les scandales sexuels, il est dans la lignée de Joseph Ratzinger qui est jugé par certains cardinaux pour en avoir un peu trop fait. A la Curie, s’il a échoué à faire passer son candidat à Caritas récemment, il peut se faire aider par un autre Salésien, le puissant et redoutable Bertone.
Parlant anglais, français, allemand et portugais, en plus de sa langue maternelle, il possède l’italien à merveille, ce qui peut le faire adopter par les Romains dont il sera l’évêque. Bonne chance, Rodriguez !