La Chine, premier pays chrétien de la planète ? Pour ceux qui ont connu la rage antireligieuse du régime maoïste, cette question pourrait paraître une provocation. Vincent Gossaert, historien (CNRS) et David Palmer, sociologue (Hongkong) l’envisagent.
Dans La question religieuse en Chine (CNRS-Editions), ils interprètent la Révolution culturelle non pas comme un mouvement de sécularisation de la Chine mais « l’apothéose d’une tendance parallèle de la sacralisation politique qui prenait ses racines dans la culture politique et religieuse de la Chine impériale, ainsi que dans les dimensions utopiques et apocalyptiques d’une révolution moderne. » Le culte de Mao qui vit le héros traverser le Yangtsé à la nage à 73 ans et la diffusion de son Petit livre rouge de citations, remplaçait ce qui avait été pourchassé auparavant. Mais à sa mort en 1976, ce fut le vide. Les protestants profitèrent des nouvelles libertés accordées par Deng Xiaoping, ressuscitant les mouvements pentecôtistes « à l’eschatologie souvent teintée d’exubérance nationaliste » (Redeemed by Fire, Yale University Press, 2010). Côté catholique, Benoit XVI a avalisé la nomination des évêques par Rome, décision acceptée par Taiwan mais qui froisse Pékin.
Puissantes ont été les résurgences du bouddhisme et du taoïsme, quoique plus difficiles à cerner que le christianisme. Il n’y a pas, comme en Occident, de conflit de pensée entre la modernité et les pratiques traditionnelles (qi, gong, autel à domicile) qui « donnent du sens aux coups apparemment hasardeux du destin dans un monde en plein bouleversement » (S. Scott Plummer, The Times Literaty Supplement, Books, n° 42).
Gossaert et Palmer aiment à comparer la Chine à une gigantesque marmite syncrétique. Pour eux, trois scénarios : la Chine suit Hongkong et devient un pays laïc, laissant la liberté religieuse s’exprimer. Ou alors l’État est arbitre des religions. Ou, enfin, l’instrumentalisation de la religion dopant le patriotisme et projetant un soft power à l’étranger. Pour l’instant, les 80 millions de chrétiens pour 1,3 milliard ne font pas le poids. Le bouddhisme n’est jamais frontal face au parti communiste qui écrase les dissidences impitoyablement. Il sait combien le catholicisme a joué dans la chute du communisme en Pologne ou en Corée. Raison de plus pour surveiller plus que d’un œil le chat qui dort.