La Turquie est en ébullition depuis déjà plusieurs jours, et nul ne sait comment la situation va évoluer. Tout a démarré à cause d’une opération immobilière menée de manière un peu autoritaire, comme le relate le Monde. Il est d’ailleurs significatif que ces manifestations aient commencé à cause d’un problème de ce que l’on pourrait appeler, dans le jargon des urbanistes, un problème de gouvernance territoriale: un parc détruit pour faire place à une opération immobilière juteuse. Quoi de plus banal hélas? Mais c’en était trop visiblement. La morgue initiale d’Erdogan a fait place à un peu plus d’attention, peut être d’inquiétude?
Cela signifie que la population ne s’en laisse pas compter par un gouvernement qui, même s’il a été élu, ne doit pas moins rendre des comptes à cette population et ne pas dépasser certaines bornes.
On trouve là, bien entendu, un écho aux révoltes arabes. Mais ici nous sommes dans un autre domaine culturel, certes musulman, mais très différent du Maghreb. Il est tentant, à deux ans de distance, d’établir des comparaisons avec les autres pays où la révolte s’est embrasée.
Alors qu’en Syrie la protestation a dégénéré, par la faute d’un chef d’état imbécile, en guerre civile violente, et que partout ailleurs les prétendus « islamistes » essaient de se placer, le cas de la Turquie est différent; État laïc pour un pays musulman, mais historiquement très mélangé, ces manifestations peuvent surprendre car elles se produisent dans un pays « déjà » démocratique. Mais on peut supposer que cette contestation se base sur les principes nouveaux d’une certaine démocratie directe, inspirée par les réseaux sociaux et la culture web, à la fois volatile et réactive.
Autrement dit, on peut voir s’élaborer sous nos yeux des contre-poids politiques « gênants » pour les pouvoirs en place car à tout moment des décisions gouvernementales peuvent être remises en cause. Facteurs d’instabilité, bien entendu, mais aussi facteur d’équilibre si jamais cette opinion publique directe était prise en compte. On peut y ajouter les divers « leaks » (« fuites ») qui font chavirer les appareils d’État et surtout la Raison d’État, machine à broyer la contestation depuis Richelieu, inventeur du terme. Bien entendu, les manifestants sont présentés tout d’abord comme des pillards, des terroristes, des agents de l’étranger, etc. La phraséologie officielle ne varient qu’en fonction des mensonges eux-mêmes officiels soigneusement entretenus.
Mais ce nouveau territoire du politique s’ancre dans des espaces hautement symboliques: place Tahrir au Caire, place Taqsim à Istanbul. La place, d’expression directe du pouvoir… en place à ses origines, (plaza de arma) devient par l’action populaire le siège même, provisoire et fragile, d’une remise en cause d’autorités jugées illégitimes, abusives, voire tyranniques.
L’espace reste donc chargé de sens, il en acquiert même encore plus en étant le point d’aboutissement d’actions au départ virtuels: les réseaux sociaux finissent toujours par s’exprimer en des territoires encore à cartographier.