Je ne résiste pas à vous donner lecture de cette chronique de l’écrivain Patrick Besson, éditorialiste au Point. C’est un sommet voltairien sur la géographie d’une journée ministérielle aujourd’hui, ses vanités, ses moulinets télévisuels. Et ce don d’ubiquité que donne la présence du ministre sur le théâtre des faits divers. Il pose la question de l’impact de cette politique câlinothérapeutique de notre société bien mal armée devant la médiatisation de la violence locale. Aux géographes, il enjoint de réfléchir au type de « territoire » qu’il crée, comment ce palimpseste agit sur les électeurs, comment les spectateurs d’un Etat au chevet des maux sociaux peuvent imaginer voter autrement qu’avec le capital émotionnel engrangé par un ministre.
Cela dit, bon plongeon chez Valls.
Une journée dans la vie de Manuel Valls
À l’école maternelle Saint-Exupéry, dans la banlieue de Tours, sur les lieux mêmes où, vingt-quatre heures plus tôt, une institutrice de 22 ans s’était pendue devant les trente et un petits garçons et petites filles de sa classe, le ministre a déclaré : « Toutes les mesures seront prises pour qu’un tel drame ne puisse jamais se reproduire et je confirme aux enfants, aux parents et aux enseignants de Saint-Exupéry que le ministère de l’Intérieur ainsi que tout le gouvernement et le président de la République sont avec eux. »
Le ministre s’est rendu ensuite à la poste de Saint-Pourçain, où deux employés des PTT ont, au cours de la nuit, été lynchés à mort à la sortie du bar gay d’une ville voisine. Ayant rassemblé autour de lui les médias et les facteurs en colère, le ministre, visiblement ému, a fait cette annonce solennelle : « Il ne sera désormais plus permis que les déséquilibrés asociaux s’en prennent à des êtres humains pour la seule raison de leurs choix sexuels et je tiens à assurer tous les postiers de France de mon total soutien ainsi que de celui du gouvernement et du président de la République. »
Le ministre a ensuite choisi de prendre son repas de midi au restaurant Flunch de l’autoroute A6 entre Nemours et Montargis, où, la veille, s’étaient affrontées deux bandes rivales, faisant trois blessés graves parmi les clients. Après avoir commandé une andouillette-frites, spécialité de la région, le ministre a prononcé l’allocution suivante : « Le président de la République, le gouvernement et moi-même, nous sommes profondément choqués par le climat de terreur que font régner, sur les autoroutes françaises, quelques groupes de délinquants, et tout sera mis en oeuvre pour que la sécurité des automobilistes soit restaurée. »
Le ministre, au cours de l’après-midi, et en dépit d’évidentes difficultés de digestion, s’est rendu aux Bains-Douches de Strasbourg où un quinquagénaire avait égorgé son fils, dans un bar de Pigalle où deux prostituées avaient été poignardées et démembrées par un touriste danois, dans une rue de Clichy où un bijoutier avait été cambriolé et blessé par balles à l’épaule et au genou, tous ces événements ayant eu lieu au cours des derniers jours, et aux journalistes qui l’accompagnaient depuis le matin, et dont certains commençaient à manifester quelques signes d’impatience et de lassitude, le ministre a réitéré son indignation et ses promesses que des crimes pareils ne seront plus tolérés sur le sol de la République française, soucieuse de la protection des lieux et des personnes.
Alors qu’il commençait de dîner dans un restaurant japonais de l’Opéra par solidarité avec les touristes nippons récemment dépouillés dans leur car par quelques supporteurs du Paris-Saint-Germain, le ministre a dû interrompre son repas pour se rendre dans les quartiers nord de Marseille, où un nouveau règlement de comptes venait d’avoir lieu : un adolescent de 16 ans, bien connu des services de police, venait d’être retrouvé dans une BMW volée, le corps criblé de balles de kalachnikov. « Tout sera mis en oeuvre, a promis le ministre, pour que de telles exécutions sur la personne de jeunes mineurs soient désormais impossibles et je tiens, au nom du gouvernement et du président de la République, à dire que tout sera fait pour retrouver la paix, le calme et la sécurité dans les villes et les banlieues françaises. »
Puis il rentra chez lui, songeant à sa journée du lendemain.
______________________
Si l’on veut d’autres preuves de la vacuité des médias télévisuels,
voici un extrait d’un article de Libération, 3 juin 2013) sur un « mariage privé » à Montpellier sur BFM-TV (mai 2013)
«Vous êtes à Montpellier pour cette cérémonie qui, rappelons-le, est AVANT TOUT une cérémonie strictement privée […] suis en effet sur le parvis de la mairie, ce bâtiment très imposant, dans lequel dans moins de dix minutes maintenant […] oui, très important symboliquement que ça commence en province, même si Montpellier est une ville très gay friendly dont […] nous rappelez dès que vous apercevez Victor et Bruno, la police a laissé l’accès libre à […] ont souhaité néanmoins conserver un caractère privé à ce qui est tout de même avant tout […] 230 journalistes du monde entier qui se sont fait accréditer […] heureusement d’ailleurs, la retransmission sur écran géant à laquelle la mairie a dû renoncer, malheureusement, pour cause de problèmes, de menaces, ou […] Victor et Bruno, mais surtout Victor, dont le […] spécialiste de l’homosexualité, militant historique, et vous resterez avec nous pendant toute la retransmission, pour nous dire si […] vous arrête, priorité au direct, car Najat Vallaud-Belkacem vient de pénétrer, vous le voyez sur ces images, dans la […] tous ces gens qui s’y sont opposés, ils vont recevoir des invitations, et alors que vont-ils faire […] d’abord et avant tout une cérémonie privée […] entrer dans les mœurs, tout naturellement, comme […] est là à titre personnel, on la voit sur ces images embrasser la famille des mariés, elle porte d’ailleurs une très jolie […] vous demander, madame, votre sentiment personnel sur la […] crois que c’est la maman de Victor, qui porte, elle, une […] robe rose, vous savez que finalement la ministre de la Famille a dû renoncer à […] crois savoir que la cérémonie pourrait prendre une demi-heure, voire trois quarts d’heure de retard, on marque une très très courte pause […] très attentif au reproche de récupération, qui pourrait […] important que l’Etat soit là aujourd’hui, même à titre personnel, on va d’ailleurs la réentendre s’exprimant ce matin lors du traditionnel […] me rends à Montpellier dans le cadre d’un déplacement privé […] êtes toujours sur le parvis, où […] etc…..
Une réponse à “Manuel Valls, câlinothérapeute des territoires”
Bel article, la juxtaposition des déclarations de Valls est impitoyable, il faudrait compter les « tout sera mis en oeuvre pour ». Quant à la remise en cause entre espace public et espace privé, manifeste dans le traitement médiatique du premier mariage gay, n’est-ce pas le signe de l’avancée vers une certaine forme de totalitarisme ?