Jusqu’aux révoltes récentes au Proche et Moyen-Orient, les Facebook, Twitter et autres applications « sociales » se résumaient à des outils technologiques d’une vanité souvent affligeante, tout à la fois instruments d’exacerbation de millions de nombrilismes transpirant de fatuité, agences de publicité de seconde zone et, pour les tweeteuses les plus énervées, lieux immatériels de règlement de compte médiatique.
Alors les réseaux sociaux, outils d’abêtissement planétaire ? Que nenni ! Le mouvement de révolte que connaît aujourd’hui la plupart des grandes villes de Turquie montre combien ces nouveaux médias ont pu devenir des outils géopolitiques de résistance, d’information et d’organisation pour un mouvement spontané sans leader, aussi composite qu’imprévu. Face à la pauvreté de la couverture médiatique des chaînes officielles, préférant, par exemple, programmer un documentaire sur les pingouins que parler de l’occupation du Parc Gezi et de la répression policière qui a suivi, une information « Do It Yourself » n’a pas tardé à émerger et à envahir des millions de pages Facebook. Partage de films, d’articles, de caricatures, de projets d’actions, une boulimie d’informations a déferlé sur la toile pour relayer exactions de la police et phrases provocatrices des dirigeants, tandis que les hackers d’Anonymous en profitaient pour pirater le site internet du parti AKP de Recep Tayyip Erdoğan. La disparition des distances physiques a permis de concrétiser en quelques heures le ras-le-bol latent d’une partie de la population turque. Les primes revendications locales contre la disparition des arbres du Parc Gezi sont devenues nationales : le concert des ustensiles de cuisine, expression symbolique du soutien à la résistance, résonnent aujourd’hui aux fenêtres de toutes les villes du pays.
D’agence de presse officieuse, les réseaux sociaux se sont transformés au fil des jours en centre d’urgence faisant preuve d’une réactivité insoupçonnée. Hier soir, 15 juin, les tweets et autres statuts donnaient en temps réel la liste des pharmacies de garde, les codes des réseaux wifi aux alentours de la place Taksim ainsi que les adresses des lieux où les manifestants gazés pouvaient trouver aide et assistance.
Derrière l’immatérialité des flux d’informations, la réalité du terrain reste pourtant la même : pierres ou tout autre objet à lancer d’un côté, matraques, gaz lacrymogènes et canons à eau de l’autre. L’arsenal technologique au service de la révolte ? Une idée qui n’aurait peut-être pas déplu aux Reclus, Bakounine et autres Louise Michel…