Ne cherchez pas ce que vont chercher les 2 millions de clubbers qui prennent l’avion pour Ibiza : ils vont « faire la fête ». Imaginez des discothèques de 10 000 places comme le Privilège, 7000 à l’Amnésia où ils échouent à 2 heures du matin après s’être « préparé » sur les plages et dans les criques. Tous en piste jusqu’à 7 heures !
Attention, l’enquête sur cette « Mecque des clubbers » (les musulmans apprécieront qu’on n’écrive pas le « Lourdes des fêtards » ou le « Fatima des noceurs ») a été menée par le très sérieux philosophe Yves Michaud dans Ibiza mon amour (Nil), ovni éditorial incandescent sur cette bulle méditerranéenne, sise à deux pas d’un Cap Formentor cossu où l’on croisait jadis notre Liliane B. lorsqu’elle avait tous ses esprits.
D’abord, la discothèque ibizienne. Point focal de la transe îlienne où la musique broie les tympans, les lasers électrisent le regard, les bains de mousse rendent les corps soyeux, les odeurs synthétiques, les gogos dancers qui pointent leurs avantages physiques (seins, fesses) comme autant d’appâts destinés à chauffer l’ambiance.
Ensuite, le système ibizien que Michaud décrit comme un « engineering de la jouissance » : vols low cost, disco-bus qui relient les boites, marchés de la prostitution, hôtellerie-restauration (classique, elle, là où les Japonais auraient construit des love hotels en forme de cœur ou de toute partie anatomique suggestive).
Enfin, l’île d’Ibiza, où paissaient dans le temps jadis, des moutons gardés par de vieux sages à barbe produisant un peu d’huile d’olive. 40 000 autochtones vivant, selon Michaud, dans une pauvreté « digne mais noire ». Une société accueillante comme le furent les Grecs qui donnait à voir du rustique à des gens chics comme Albert Camus, Jacques Prévert, des homos comme Walter Benjamin fuyant les nazis persécuteurs qu’on retrouvera après la guerre. Plus tard, les beatniks accrocs aux hallucinogènes, les déglingués du sexe, de l’alcool, des hippies qui fabriquent tout un bric- à-brac de références que des boîtes comme le Pacha réutilisent encore (le Flower power !).
Le bouche-à-oreille – meilleure publicité gratuite pour le millionnaire Maurice Lévy qui s’y connaît – fit le reste. Des intellos, on passe aux gogos et accros à toutes les substances que le régime espagnol pas très franco fait semblant de ne pas voir. Les petites mains sous-payées sont en passe, pour notre philosophe qui a l’œil, d’être remplacés par du personnel pris dans les filets des mafias de la drogue.
Alors, Ibiza, une u-topie, lieu de nulle part comme Thomas More l’a décrite ? Oui, comme le sont les Aqualand et autres Center Parcs. Mais aussi de nouvelles références du plaisir comme Rimini et son « district du plaisir », Berlin qui se veut capitale de la musique techno, Miami, etc. Notre brave philosophe s’inquiète du « modèle » ibizien, ses artifices, son « rapport à la vie »… N’est-ce pas le propre des utopies ?
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Pour en savoir plus : l’excellent article de X. Molénat, Sciences humaines, n°240