Ci-dessus: Cadenet: où est passé le village?
Vacanciers qui sillonnez la France et ses villages : ouvrez bien vos mirettes ! Car les villages que vous avez dans la tête ne sont plus ceux dans lesquels vous vous promenez.
Jean-Pierre Le Goff (La fin du village, Gallimard) a raconté la déchéance de Cadenet (Lubéron), non pas les pierres, les gens, la fête et le pastis, mais la collectivité qui regrouperait au sein d’un même espace habitation, travail et ce qu’on appelle « loisir ». Tout ça, c’est du passé.
Mais si vous voulez absolument insister en observant des familles, quelques institutions, des marchés et des mariages, vous ne verrez pas d’autre population que des « actifs », comme disent affreusement les sociologues, aux revenus très inégaux : des riches cadenassés derrière leurs murailles de pierre et d’électronique, des volets fermés onze mois sur douze, des pauvres, voire très pauvres, jeunes et vieux, des « individus » (encore un affreux mot) qui travaillent loin, qui se sont libérés des contraintes des anciennes communautés et qui n’ont plus de « chauvinisme de clocher« .
Faut-il avoir une nostalgie de l’interconnaissance passée ? Des anciennes solidarités ? Si on est vieux, pourquoi pas ? Car le passé idéalisé est ce qui fait supporter une partie du présent. Mais si on est jeune, on n’a pas d’avis, on construit, on habite selon des logiques qui échappent, la plupart du temps, à ceux qui les revendiquent.
Quand Jean-Pierre Le Goff écrit que les mentalités changent et disparaissent, il parle d’un village anciennement communiste qui est devenu « bariolé », avec ses néo-ruraux, ses « cultureux » post-soixante huitards, ses bouddhistes, ses sophrologues, ses militants associatifs, son curé polonais. Un patchwork qui éclate dans les fêtes en tous genres, que Le Goff décrit comme un mélange « d’expression narcissique, de bons sentiments, de militantisme symptomatiques de l’hégémonie des nouvelles couches sociales et du fossé creusé avec les couches populaires« . Notamment à Cadenet, ces vieux d’origine maghrébine discutant sur la place où l’on sent le rejet de la différence et le sentiment trouble de téléphages devenus incapables « de prendre le frais« .
Bref, ouvrez les mirettes ! Refaites-vous un village le temps de votre visite, mais regardez-les bien, car ils ne sont plus ce que vous pensez voir !
__________
Pour en savoir plus, en plus du livre de J.-P. Le Goff :
La fin du village, Nouvel Obs, n° 2508
Un article d’Alain Chanard, Transrural Initiatives, n°422