Le « Tournant géographique » décrit par Jacques Lévy en 1999 serait-il en train de prendre corps? Ce que les anglo-saxons appellent le « spatial turn » (tournant spatial), trouve en effet une éclatante expression dans la proposition du journal électronique le Monde: situer sur un planisphère les événements et donner ainsi directement accès aux articles.
Il s’agit simplement de situer les événements: les disques sont centrés sur les capitales, mais pas toujours. Certains faits sont placés là où ils surviennent.
Que penser de cette cartographie instantanée, certes rudimentaire mais suprenante? Elle renvoie à l’irruption des cartes dans notre vie quotidienne: GPS, géolocalisation, géo-référencement etc.: le monde se met à toutes les sauces et entre dans nombre d’applications plus ou moins intéressantes.
Mais à la triade Raison, Progrès et Histoire, s’en substitue une nouvelle qui pourrait être Culture, Innovation et Espace. La Raison s’en est pris un sérieux coup dans l’aile avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le progrès a sombré semble-t-il avec le communisme historique et la « technologie », ce néologisme américain, a reprise le flambeau, avec tous les dangers d’excès que l’on peut imaginer. Quant à l’histoire, si elle demeure une grille d’interprétation du monde valide et puissante, elle semble battue en brèche par l’espace, en tant que catégorie englobante et plus directement vérifiable.
C’est comme si la géographie reprenait ses droits à l’orée d’une mondialisation qui fait prendre conscience, dans un même mouvement, de nos particularismes comme d’un certain nivellement en bonne partie d’origine étasunienne. Cette géographie si triviale, si ennuyeuse, reste en même temps tangible, visible, et le voyage la met en forme sans cesse. L’histoire introduit, par essence, une distance, puisque le passé est irrécupérable.
A cet égard, il conviendrait aussi de s’interroger sur le rapport entre nomades et sédentaires, et sur le fait que notre époque persécute les nomades, alors que l’urbanisation du monde, c’est à dire sa solidification, ne semble pas connaître de bornes. Mais ce sera un autre sujet.
Pour le moment, alors que le Net déstructure l’accès à l’information et recrée le mythe de l’ubiquité et de l’instantanéité, la carte semble vitale pour ne pas se perdre. Savoir où l’on va. Et si l’on y associe l’essor inouï de la cartographie informatique, on peut imaginer que nous ne somme qu’au commencement d’un basculement de représentations. Peut être un retour aux sources, un peu comme sur ces peintures d’Australie ou le territoire, c’est aussi le rêve?