L’Uruguay invente le cannabis légal


Le président plaide pour sa loi à la Chambre des députés

Dans le pays où le président est le plus pauvre du monde et un continent latino qui réinvente la pauvreté au Vatican –  le palais papal a été délaissé pour une banale résidence – , on ne fait rien comme ailleurs. La chambre des députés de l’Uruguay vient d’adopter (50 voix sur 96) la légalisation du cannabis. En attendant la confirmation par le Sénat, l’Etat se prépare à contrôler la production et la vente de cannabis pour ce pays de trois millions d’habitants.

Plus curieusement, ce texte a été poussé par le très charismatique président de la République, l’ancien guerillero « Pepe » Mujica, qui créé un monopole étatique de la filière cannabique (plantation, culture, récolte, acquisition, stockage, commerce du cannabis et ses dérivés). Chaque foyer a doit à un maximum de six plants, les clubs de consommateurs (15 à 45 membres) une autorisation maximale de 99 plants, soit sept kilos par an. Les résidents majeurs en Uruguay peuvent acheter jusqu’à 40 gr dans un réseau de pharmacies autorisées et contrôlées, comme toute la filière, par un Institut de régulation et de contrôle du cannabis, qui gère la production et la distribution.

Le but de cette loi est de couper l’herbe sous les pieds du crime organisé financé par le trafic de drogues illégal. Il ne s’agit pas de promouvoir la consommation, l’Uruguay comptant 20 000 fumeurs quotidiens de marijuana, sur un total de 120 000, selon le Conseil national des drogues. Cette loi sanctionne l’échec des politiques de répression étatsuniennes dans les pays latino-américains, mais elle s’inscrit en faux contre le pape jésuite qui aux JMJ de Rio a plutôt mis en avant « le rôle de l’éducation » dans la lutte contre le crime. D’autres dirigeants voisins prônent la dépénalisation du cannabis et observent ce qui va se passer avant de promouvoir une politique identique : l’ancien président colombien César Gaviria, le Mexicain Ernsto Zedillo, le Brésilien Fernando Henrique de Carodoso.

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Pour en savoir plus, un petit calcul de Favilla, Les Echos, 9 août 2013

« Arriba Uruguay ! »

A en croire certaines dépêches, le président de l’Uruguay envisagerait non seulement de légaliser la consommation de cannabis, mais aussi d’en faire assurer par l’Etat la production et la commercialisation. Cette forme de socialisme nationalisateur, cher à la gauche de notre gauche, constituerait une interprétation originale de la boutade marxiste sur l’« opium du peuple ». A ce stade ultime de l’institutionnalisation, elle peut mettre en pétard une grande partie de l’opinion, mais elle a le mérite de poser courageusement le problème : plutôt affecter à la collectivité qu’aux trafiquants les profits tirés de cette consommation de drogue devenue incontournable (on pense au tabac).

Pour nous éclairer de quelques chiffres, on rappellera que, en France, par exemple, le gramme de cannabis se vend autour de 7 euros (50 pour l’héroïne, 70 pour la cocaïne). Or une étude américaine, assise sur l’hypothèse d’une production rationnelle, évalue son prix de revient théorique à cent fois moins, soit une fourchette de 0,02 à 0,09 dollar selon la qualité. Il y aurait là de quoi désespérer les trafiquants et faire fantasmer Bercy, dont l’addiction à la recette fiscale est connue.

Il faut savoir cependant que, en France (et sans doute ailleurs), le milliard d’euros de chiffre d’affaires du cannabis irrigue une économie principalement composée de petits dealers, dite économie de « débrouille » ou de « survie » par les études officielles, et qui soutient l’économie des quartiers. La ruiner serait certes moral mais pourrait aggraver leur déstabilisation ; en quoi le marché a toujours sa place. Il n’empêche que, si le président uruguayen pouvait mener à terme son projet, il nous fournirait d’utiles enseignements. Si ce que l’on dit des Pays-Bas est vérifié, la tolérance y aurait plafonné la consommation… mais le circuit des profits, apparemment, n’y est pas démantelé.

A vrai dire, le plus grand défi est dans les 250 milliards annuels de chiffre d’affaires mondial du marché des drogues dures (3 milliards en France), avec les profits scandaleux qui en découlent, et sa capacité à déplacer éventuellement ses pratiques vers de nouveaux secteurs. Là où est situé l’Uruguay, on comprend qu’il ne s’y soit pas attaqué. On l’encourage à franchir le pas.

 

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