Récemment, Alexandre Lacroix, écrivain et rédacteur en chef de Philosophie Magazine, évoquait, sur les ondes de France Culture, une « géographie du baiser », disant que celui-ci avait son histoire mais aussi sa géographie: en effet, on ne s’embrasse pas partout, et surtout, le baiser est parfois considéré comme dégoûtant ou absurde. L’Asie et l’Afrique ont vu arriver le baiser à l’européenne avec suspicion et parfois horreur… Le french kiss se serait popularisé, et mondialisé, via le cinéma hollywoodien, une fois n’est pas coutume.
Mais on pourrait étendre cette observation à bien des comportements qui peuvent sembler aller de soi: la manière de s’asseoir, de dormir, de marcher, de faire ses besoins, de se laver, de manger… Autant de pratiques qui varient considérablement d’un pays à un autre, voire d’un continent à un autre. Et cette géographie du corps passe aussi par le toucher, sens si intime et souvent abaissé dans les pays du « Nord » car considéré comme trivial, impur ou grossier.
Norbert Elias avait déjà creusé ce sillon, puis Erving Goffman, Edward T. Hall et Michel de Certeau: la géographie pourrait s’emparer d’un tel sujet, et elle commence à le faire, même si cela confine à l’anthropologie ou l’ethnologie.
Pour comprendre un pays, rien de tel par exemple que de visiter ses cimetières et ses marchés. Entre mort et vie, c’est tout un ensemble de comportements fondamentaux qui se révèle sans fard. Jean-Didier Urbain, avec son sens habituel de la formule, avait baptisé son étude sur la mort et les morts en Occident l’Archipel des Morts, car la place accordée à nos morts nous dit beaucoup de nous-mêmes. Et ce n’est pas toujours flatteur.
La forme des lits et celle des latrines indiquent donc en substance notre vie intime. C’était Roger-Henri Guerrand qui avec humour évoquait l’histoire du bidet (le Confident des Dames, 1997) ou celle des latrines (les Lieux, 1997) et découvrait ainsi toute une histoire de l’intime.
Cet intime a ses espaces, tout comme le vêtement interagit avec notre environnement. Intermédiaire entre notre corps et le monde, il est un support symbolique extrêmement fort, et la banalisation aujourd’hui du jean et du T-shirt ne doivent pas faire oublier à quel point le vêtement signifie, y compris à travers le contact qu’il permet ou prohibe.
Les plages en été ont aussi été des terrains de prédilection pour nombre de sociologues et Francine Barthe-Deloizy en géographie s’est intéressée aux espaces des nudistes ou de la nudité en général.
Autant de géographies encore à défricher!