Littéralement, en dialecte hollywoodien, un blockbuster est un film « à faire sauter le quartier« . Ici, pas de rugissements de bagnoles, ni de cris et violences corporelles. Non, nous sommes dans l’espace, en apesanteur, avec notre bonne vieille planète bleue qui donne à voir les océans et des lacs, quelques chaînes de montagne, la vallée du Nil la nuit. Sandra Bullock qui joue le rôle principal, dit qu’elle aime la balade pour « le silence« . Et pourtant, ça n’arrête pas de canarder de toutes parts. On n’échappe pas au feu. Et in fine, à l’eau. Les voyages dans l’espace ne sont plus garantis tous risques comme au temps de Tintin.
Ceux qui ont fait 1968 avec Kubrick (2001, l’odyssée de l’espace), puis 1969 avec Les naufragés de l’espace, sorte de western spatial commis par Sturges, ceux qui dix ans plus tard ont manqué Alien de Ridley Scott et le féminisme ravageur de Sigourney Weaver, ou encore le documentaire poilant Out of the present sur Soyouz (1986) et l’immense Solaris de Tarkovski (2002), ceux-là pourront découvrir Alfonso Cuarón (Harry Potter) et un travail de sept ans, avec seulement deux acteurs, pour « un pitch qui tient en un haïku et demi » (Julien Gester et Didier Péron dans Libération) : « l’histoire d’une femme qui va dans l’espace et qui revient sur Terre » (Cuarón)…
Le brave vendeur de Nespresso (George Clooney) et Sandra Bullock (Speed, Demolition Man), 49 ans mais très entraînée, doivent bricoler sur Hubble dans un espace souvent noir, simulant le vide avec la Terre « en bas« , sans qu’on sache bien où sont les bornes sinon les stations forcément russe et chinoise, comme dans un rappel d’une guerre froide à trois. Les petites blagues sur la couleur des yeux à travers le hublot, les évocations de la vie terrestre, la poésie même du lever de soleil sur le Gange, tout cela donne un peu de piment (dans la salle où l’on était à Odéon, on a entendu rire quelques grands bébés), il faut s’imaginer travailler avec la belle Sandra et l’accompagner dans sa lutte en pensant au pauvre Icare.
Chaussés de nos lunettes 3D, nous perdons bien quelque peu le sens de l’espace, le vertical et l’horizontal s’entortillent mais les boums-boums et sifflements liés aux accidents nous réveillent de notre torpeur pour tendre à nouveau le ressort du suspense. Les géographes que nous sommes auront le temps de réfléchir au deuxième sens du mot « espace » comme étendue leibnizienne indéfinie. Juste le temps de se gausser de l’inconsistance de la dérive finale de Clooney quasi impossible ou se marrer du ralliement à la station chinoise (aussi improbable pour l’astronaute Massimino qui s’y connaît, que de voir un « naufragé rallier Londres depuis les Caraïbes à la nage« ).
Restent la fascination du public et l’alleluia de tout ce que la presse cinéma compte de clercs. Pour le théologien Jacques Arnould qui travaille au Centre national d’études spatiales, les astronautes parlent souvent d’expérience métaphysique, voire mystique. « L’imaginaire, allié de la science en matière d’espace » fait penser à Jules Verne bien avant Neil Armstrong, rappelle-t-il. Une autre dimension qui est celle du rêve, sorte de banlieue (dangereuse) des astronautes appartenant à la Terre. Finalement, Gravity est tout juste spatial.