Le géo-anthropologue Jean Malaurie proclame que s’il existe des peuples techniquement avancés, tels que la culture occidentale moderne, il existe aussi des peuples philosophiquement avancés. Tel semble être le cas des Lega du Congo, peuple malmené par l’histoire coloniale puisque déportés d’une région à une autre du Congo par une administration coloniale bête et méfiante.
Peuple impressionnant aussi par la profondeur de la pensée et la sophistication de l’esthétique, puissamment reliées à des pratiques rituelles elles-mêmes enracinées dans une société initiatique, le Bwami, confrérie dont les membres influencent l’ensemble de la société Lega. L’initiation bwami ne concerne pas tous les membres de la société Lega, mais tous peuvent y aspirer. Les degrés de l’initiation se traduisent par autant d’objets offerts à la contemplation des initiés. En ce sens, les figurines, masques et autres objets usuels et cultuels constituent un véritable art de la mémoire, très comparable à ce que l’Occident a connu à certains moments.
L’ensemble de ces pratiques s’articule autour du concept « beauté-bonté » qui fait irrésistiblement penser au « kallos kagathos » des Grecs anciens, qui signifiait strictement la même chose. La beauté intérieure s’exprime donc par une forme de beauté extérieure, et en tout cas l’excellence du comportement s’associe à la beauté. Cette éthique bien particulière s’apprend à travers cinq degrés initiatiques, le plus élevé, le kindi, étant réservé à une poignées de personnes, hommes ou femmes. La clef spirituelle de cette progression est l’harmonie, personnelle et collective.
Les objets liés au bwami prennent donc un sens et ont un usage parfaitement définis. Certains restent cachés, réservés aux seuls initiés, d’autres sont au contraire destinés à montrer le degré atteint et appellent le respect social.
Il est frappant de constater comment une société « traditionnelle » au sens où l’entend René Guénon, associe spontanément connaissance et élévation éthique. Les Lega l’illustrent parfaitement, et l’esthétique qui en ressort n’est en aucun cas recherchée pour elle-même, elle est tout à la fois le résultat et la manifestation de cette élévation. Rien de gratuit.
Notre science, totalement découplée de toute éthique, mais essentiellement associée à l’industrie et à ce que l’on pourrait dénommer le complexe technico-industriel, ne recherche finalement que le profit, sous couvert de philanthropie. Le cas de l’industrie pharmaceutique est à cet égard très éclairant.
On aura compris que cette exposition, par les réflexions qu’elle inspire et la qualité des objets présentés, vaut largement la visite.
Secrets d’Ivoire, l’art des Lega d’Afrique centrale, jusqu’au 26 janvier 2014, musée du quai Branly