La journaliste Marie Verdier (*) rentre d’Ellinopyrgos, village installé sur les contreforts du Pinde (Thessalie) où elle essaie de comprendre ce qui se joue en Grèce cet hiver 2013, deux ans après l’éclatement d’une crise économique très violente.
Elle y rencontre des « jeunes », tels Giorgos Sakellariou, 47 ans, qui vient de vivre un retour à la terre. Même si pour l’instant, l’incertitude le pousse à travailler encore quelque temps à l’hôpital de Karditsa à quelques encablures du village. Giorgos a repiqué des plants de châtaigniers, veut faire du haricot blanc comme on en mangeait en Thessalie autrefois ou des granulés de bois. Après 40 ans de vie à Athènes où il a travaillé dans l’électricité, Giorgos, a perdu le tiers de son revenu tiré d’une retraite prise il y a deux ans. Son fils, Dimitri, 27 ans, électronicien au chômage aussi va revenir et se lancer dans l’apiculture. Tous deux rêvent d’être à la fois en ville et au village.
D’autres habitants qui sont restés à la campagne y songent aussi, devant la pénurie de travail. Mais ces idées n’ont pas surgi de nulle part. Dimitris Goussios est un chercheur à Volos (université de Thessalie) qui a préparé le village d’Ellinopyrgos à l’idée de nouveau arrivants : faire revenir le « capital humain dormant de la diaspora« . Soit 2500 émigrés restés dans la région ou partis jusqu’en Australie qui peuvent consommer les produits de leur village ou entreprendre dans la débâcle de l’économie.
Le village avait perdu 90% de sa population dans les années de croissance et ne revivait ue quelques semaines l’été. Les émigrés maintenaient le souvenir par des associations… de sauvegarde du patrimoine. Les Grecs ont tous gardé des liens que le foncier a pérennisés, maintenant une agriculture pauvre qui a…. préservé la nature et les paysages, évité la concentration des exploitations. On militait pour partir avant. Maintenant, on milite pour rentrer.
Le village retrouve ses équipements commerciaux, les cafés, un hôtel, un écomusée local, un festival et… des nouveau habitants pleins d’idées dans la tête. Dimitris Goussios explique à Marie Verdier qu’il faut faire contribuer la diaspora au développement de la commune.
Une histoire possible avec de jeunes retraités comme Apostolos Alpous, venant de l’armée de l’Air et s’improvisant chef d’orchestre entre les collectivités territoriales. Avec force journaux, sites Web, comptes Facebook, etc., AG annuelle en août avec téléconférencce pour les plus loins, fonds social pour les familles qui se réinstallent grâce aux dons de l’Eglise ou des propriétaires éloigné, telle cette octogénaire de Chicago.
Skype, wifi, carographie 3D de la commune, pour que les arrivants s’approprient le territoire ou le rénventent car entre les vacances et la vie à l’année, il y a des déceptions qui risquent d’apparaître. Et le bilan de l’intégration dans la grande ville n’est pas si brillant que cela ! Du coup, la diaspora, Goussios l’envisage à l’échelle du dème, soit 30 000 habitants.
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Pour en savoir plus : La crise balaie l’idée d’Europe solidaire (ci-dessous, le remarquable entretien avec Constantin Tsoukalas, professeur de sociologiue émérite, université d’Athènes avec Marie Verdier (La Croix, 15 décembre 2013)
Comment jugez-vous la situation en Grèce ?
Constantin Tsoukalas : Le recul du niveau de vie est considérable. Nous vivons une crise humanitaire. Nous pensions que cela était réservé aux pays les plus pauvres du tiers-monde et voilà que la crise humanitaire arrive en Europe. C’était pourtant impensable dans l’Europe de l’après-Seconde Guerre mondiale.
Faute de pouvoir dévaluer notre monnaie, il a fallu appliquer le concept de « dévaluation intérieure », c’est-à-dire d’autodévaluation. Autrement dit, les salaires et retraites ont été baissés de 35 % ! Certains pensent qu’il faudrait aller encore plus loin en baissant de nouveau les revenus, en ôtant les barrières aux licenciements, en expulsant les personnes qui ne peuvent plus honorer leurs traites. Il n’y aurait ainsi pas d’autre solution que de s’appauvrir.
Vous contestez cette vision ?
C. T. : Nul ne doute des effets désastreux d’une telle expérience politique qui consiste à aller le plus loin possible. Nous allons finir par épouser la rhétorique du philosophe anglais du XIXe siècle Herbert Spencer, selon lequel les pauvres qui n’arrivent pas à survivre n’ont qu’à mourir.
La crise balaie toute idée d’Europe solidaire, rationnelle et humaniste. La convergence des pays de l’Union européenne est oubliée bien qu’elle figure en tête de la constitution européenne. L’on sait pourtant qu’il s’agit d’un projet politique de très long terme. Regardez comment l’ex-Allemagne de l’Est reste sous développée par rapport à l’Allemagne de l’Ouest plus de vingt ans après la réunification, en dépit des sommes colossales qui ont été déversées. Que peut-on espérer dans une Europe de plus en plus divergente ?
Les Grecs semblent pourtant résignés…
C. T. : L’illusion de confort et d’aisance qui prévalait avant la crise s’écroule de manière très brutale. Lorsque votre retraite de 1 200 € chute à 650 €, vous ne vivez plus, vous survivez, même si la notion de privation est toujours relative. La classe moyenne est laminée. Le nombre de dépressions nerveuses augmente, de même que les suicides et les internements. Et l’on ferme des hôpitaux psychiatriques ! C’est démentiel mais c’est vrai. Les gens sont en suspens. Ils ont perdu leur travail ou ils ont peur de le perdre. Tout le monde se sent en insécurité, a peur pour son travail, son argent, sa maison, sa santé. Le désespoir est contagieux. Il est devenu endémique. Tout comme l’est la véritable hémorragie de confiance dans les institutions et les garants des institutions. Beaucoup ne croient plus en l’avenir. Or appartenir à une société, c’est précisément croire en l’avenir.
Comment expliquer qu’il n’y ait pas d’explosion sociale ?
C. T. : Cet excès de précarité est très néfaste d’un point de vue psychique. La douleur psychique s’alimente d’une douleur sociale. L’on sent la tristesse et l’abattement mais aussi la révolte. Il est possible de passer de la colère à l’apathie et inversement. Ces états se renforcent l’un l’autre. La distance est minime entre l’intériorisation, l’acceptation et l’explosion.
Il n’y a certes pas d’explosion sociale. Peut-être vaudrait-il mieux dire pas encore. Le gouvernement s’oppose – mais jusqu’à quand ? – à la demande de la troïka (1) de lever le moratoire sur les expulsions car il sent bien que cela risquerait d’enflammer le pays. Cependant, les révoltes ne sont jamais prévisibles, elles peuvent éclater n’importe quand pour n’importe quel prétexte.
Les nombreuses initiatives solidaires n’incitent-elles pas à l’optimisme ?
C. T. : Comme souvent, la crise alimente l’expression artistique, intellectuelle et citoyenne. La vie ne s’arrête pas. On joue de la musique, des théâtres voient le jour. Partout des mouvements de solidarité s’organisent. Ces phénomènes sont réconfortants, même s’ils ne peuvent à eux seuls résoudre le problème et ils témoignent de la destruction de l’État social.
C’est le cas en Grèce ?
C. T. : Selon la méthode du salami, on coupe chaque jour une « tranche », dans l’éducation, la sécurité sociale, les pensions, etc. Tout ce qui a été conçu depuis la Seconde Guerre mondiale vole en éclats.
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* Source : la Croix, 15 décembre 2013