Georges Vigarello est un historien de l’intime. Son dernier livre, « Le Propre et le Sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age » (Seuil) intéresse les géographes car Catherine Millet*, explique que la propreté a fait la propriété. Depuis le Moyen Age, en Europe, les règlementations (comme les édits imposant de nettoyer devant chez soi) ont changé, l’architecture a permis des salles de bains, les réseaux d’acheminement des eaux usées sont enfin réalisés. Mais Vigarello va jusqu’au corps, dans l’intime : « Parce qu’il a bien fallu apprendre à les brosser, « de nouveaux lieux sont nommés : les gencives, l’espace entre les dents » !
Toute l’histoire déployée par Vigarello est celle d’un rapport à l’eau qu’on fuit jusqu’au XVIIe siècle comme la peste. Car précisément, on pense qu’elle apporte la maladie. Il ne fallait pas la laisser pénétrer les pores de la peau. Ce qui fait qu’on s’essuyait plus qu’on ne se nettoyait. Juste le bout des doigts. Ceux qui avaient du linge de rechange pouvait laver le linge sale. Mais il fallait souvent être riche. L’idée qui émerge du livre de Vigarello est qu’il faut avoir fabriqué une image de son corps pour le prendre en compte. Le rôle des miroirs est capital : « Privilège ancien et durable du visible ». La propreté est dans le paraître comme on le voit dans le livre dont l’iconographie est remarquable et jamais neutre ni gratuite.
On pourrait rapprocher cette conquête avec celle que mènent les pays en développement dans les bidonvilles, notamment. Le film indien, Slumdog Millionnaire, avait évoqué ce rapport à la boue, aux excréments qui rappelle une scène du Décameron de Pasolini où un enfant tombe dans une fosse d’aisances. On en aura de longs développements au cours de cette année 2014 qui parlera abondamment de la vie dans les tranchées à partir de 1915.
Un livre à offrir à tous ceux qui n’aiment pas les cheveux dans la baignoire (conquête territoriale des négligents ?), les chaussures pleines de terre, les villes sales ou à ceux qui répugnent aux régions ou aux pays trop récurés, comme l’Alsace, l’Autriche, la Suisse, Singapour ou le Japon.
Ci-dessus: Slumdog Millionnaire, une scène fameuse.
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* Le Monde, 6 décembre 2013
Pour compléter : un très bel article Le pou dans la peinture hollandaise