Boboland affole tout le monde. Car « bobo » est l’insulte soft à la mode. L’irritante NKM n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle est affublée du sobriquet de bobo. Le Bobo est donc parisien. Le coeur de Boboland pour Jean-Michel Normand (1) est un triangle, forcément d’or, entre les rues de Marseille, Beaurepaire et Yves-Toudic, dont vous n’avez jamais entendu parler. Car il est important que le Bobo n’habite pas où on l’attend, une adresse tape-à-l’oeil comme le Trocadéro, Auteuil (« le Barbès du XVIe » pour les gens du Trocadéro) ou Saint-Germain-des- Prés, son Flore et son Café géo.
Boboland, donc, du 10e arrondissement possède son grand canal, ici nommé Saint-Martin, ses avenues haussmanniennes (« mais juste ce qu’il faut pour ne pas faire ‘Ouest parisien‘ » affirme Normand). Sur les balcons, forcément discrets, on peut deviner des chaises de jardin en fer forgé. Devant les portes cochères, pas de 4X4 mais de jolis vélos, bien garés comme à Amsterdam. Territoire cool, enseignes cool qu’on appelle ici « concept store » avec des marques équitables ou des marques bobo comme Agnès b, Maje, Sandro. Les chaussures de sport ne sont pas à moins de 100 euros, « les pulls le double » (id). On attend Hidalgo dans les urnes depuis que le maire PS a été élu en 2008 avec 74% des voix.
Les bobos n’aiment pas les voitures, circulent à pied, à Vélib’ ou, à la rigueur, Autolib’. Les boulangeries qu’ils fréquentent présentent de longues queues sur les trottoirs, nécessaires pour mériter une baguette à 1,50 euros. Les bionades (limonades bio à base de plantes) se sirotent sur des tables en Formica. Vous regrettez les boucheries ? Mais la femme bobo est plutôt végétarienne.
Que pense la Mairie de cette nouvelle faune ? « Ce que nous disons des quatre grandes transitions – démocratique, énergétique, numérique, écologique – et du concept de ville-monde prenant son autonomie par rapport à l’Etat-nation ne s’adresse pas prioritairement aux catégories populaires ou aux bourgeois traditionnels » affirme, un brin pontifiant, Missika qui ajoute que ce trait est commun aux autres métropoles : « Il y a des bobos même à Shanghaï » (id).
J.-M. Normand dans son enquête montre comment les bobos d’ici veulent éviter les salles de shoot dont la gare du Nord aurait bien besoin pour aider tous les toxicos, les écoles où il y a trop de mixité sociale, les commissariats de police (et les sirènes qui vont avec). Et surtout la fête permanente l’été sur les berges du Canal où ont lieu des picnics et leurs lots de boucan et de saleté. « C’est Woodstock sur les berges« , qui pousse sans doute à passer les WE en Normandie.
Boboland affole mais, surtout, il irrite.
______
(1) Le M Magazine, 31 janvier 2014