Ci-dessus: une œuvre de l’artiste syrien Khalil Younès.
Un récent article du Monde évoque les viols de masse commis en Syrie par les hommes du régime d’El Assad. Au moins 50 000 femmes, de tous âges et de toute condition, ont été violées dans les conditions les plus avilissantes, les plus humiliantes. D’autres le seront. Certaines personnalités locales n’hésitent pas à affirmer que c’est à cause de ces viols que la contestation du régime a basculé dans la lutte armée, tant le sort réservé aux femmes est un sujet plus que sensible dans la société syrienne.
Le régime syrien a usé, dès le début, des pires méthodes pour pourrir la contestation et la faire dégénérer en conflit armé. En usant de méthodes dignes de la terreur d’État, Bachar el Assad a ouvert la porte à des violences incontrôlables, irrationnelles, déchaînées par des haines multiples, entretenues par les hommes de main du régime.
Les viols de masse ont déjà été utilisés dans de nombreux conflits, au Rwanda et en Bosnie. La lâcheté le dispute au raffinement dans la cruauté, puisque les victimes sont vues uniquement comme un moyen de saper le moral de l’adversaire en l’attaquant par le côté le plus vulnérable. En général, on les tue après les avoir violées, comme si elles étaient devenues inutiles, consommables à volonté.
Qu’est-ce que la terreur? C’est une technique de guerre éprouvée, par de petits groupes qui, pour asseoir leur domination, doivent terrifier leurs adversaires pour qu’il se soumettent. Comme chez les Babyloniens et les Assyriens dans l’Antiquité, puis avec certains peuples comme les Lombards pendant le haut Moyen Âge, dans les conflits modernes, depuis la Guerre de Cent Ans jusqu’à la seconde guerre mondiale en passant par la Révolution française et les conflits « asymétriques » de l’après-guerre froide, le Cambodge des Khmers. Une constante historique…
Tout cela dessine une géographie de la terreur aussi effroyable que répétitive. Hannah Arendt, tant conspuée pour ses travaux sur la banalité du mal, avait pourtant compris l’aspect insaisissable du mal. On peut relier ce genre de comportement à une forme de délabrement moral quasiment total. Comment ne pas convoquer l’éthique face à de tels comportement, à moins de basculer dans une fausse neutralité qui confine au cynisme ?
Car la guerre existe certes à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de soi : les névroses, psychoses et autres suicides dans les pays dits développés indiquent que rien n’est apaisé, et que, même si les conflits visibles semblent régresser, les conflits en soi continuent de plus belle et attendent une occasion favorable pour s’exprimer au détriment d’autrui. Les Français ne sont-ils pas les plus grands consommateurs de psychotropes en Europe?
La violence contre les femmes est le point d’aboutissement de cette logique, car elles sont à la jonction de l’intime et du public, dans la mesure où leur éventuel rôle de mère leur confère une place à la fois essentielle et fragile dans les sociétés. Elles servent de prétexte pour écraser et terroriser. Et elles en sont les premières victimes.
Ceux qui croient au progrès de l’Humanité devraient méditer ces exemples : progrès technique, certainement, mais progrès moral ? On patauge dans la boue et le sang, même au XXIe siècle.