Il n’y en a que pour lui. Toujours ce foutu de Jourdain qui fait sa prose sans le savoir. Et qui nous le rappelle constamment. Que devrions-nous dire, nous géographes ! Tout le monde fait de la géographie sans le savoir. Et on ne la ramène pas à chaque fois qu’on doit le faire savoir.
On se tue à montrer que l’espace est un acteur. Lussault écrit des livres là-dessus. Il faut répéter sans cesse ces idées là. Et ça n’entre pas dans la tête des Français.
Prenez ces deux personnages là, qui parlotent autour d’une table. Vous avez vu le décor ? Comment l’espace travaille la parole de ces deux personnages ? Quel est le rôle des dorures du XVIIIe siècle dans la tête des Français qui ont tous défilé à Versailles après avoir tué leur roi ? Pourquoi ces deux politiques républicains exercent-ils leur pouvoir dans cette bonbonnière construite en 1720 pour un comte d’Evreux, donnée ensuite en cadeau par Louis XV à sa favorite la Pompadour (pas besoin de se cacher sous un casque pour faire la rue du Cirque en scooter à cette époque), puis devenue résidence de Murat, le beauf de Napoléon Ier qui le squatte en 1805 avant son neveu, Napoléon III… Je raccourcis et m’arrête là.
Car enfin, après un remaniement qui a vu le grand show élyséen et matignonnesque tenir en haleine les journalistes de BFM-TV, on aurait pu faire de la géographie comme Jourdain faisait sa prose au micro. Eh bien non ! Pas un pour s’étonner de l’espace du pouvoir. Pas un pour rappeler que De Gaulle aurait aimé emménager la Ve République aux Invalides, avant de se raviser à cause du quiproquo symbolique qui aurait pu s’installer. Pas un n’a imaginé un aparté sur ce décor de carton-pâte que Pompidou avait essayé de bousculer et que nos bons vieux politicards ont voulu garder ! Pas un pour montrer que les vertus d’un escalier de jardin étaient, un siècle avant l’invention de la photographie (et donc, de la photographie de groupe qui sert à faire des petits ronds rouges autour des têtes quand on cherche quelqu’un qu’on devine si peu), pas un donc pour disserter sur les marches du palais, élevé au-dessus du niveau du peuple pour le dominer symboliquement, pour lui donner à voir la supériorité physique des gouvernants, à défaut d’une supériorité intellectuelle.
Et que dire des miroirs ? Depuis la Galerie des glaces versaillaises, ils repoussent les limites du décor qu’on prendrait en pleine figure en les dissolvant dans l’infini des reflets qui se reflètent jusqu’à ne plus pouvoir signifier quelque chose. Qu’aurait écrit Barthes sur la dilatation de l’espace par ces miroirs-là qui dilatent sans doute les ego de nos politiques ?
On reviendra sur Jourdain et sa prose pour trouver un alter ego dont on puisse mentionner la si redondante maxime. A quoi nous sert-il de savoir que nous faisons de la prose ? Mais dire que nous ne sommes pas dupes de l’espace, des décors et des positions du pouvoir, que les médias vont s’acharner à démolir, c’est anticiper la tragédie qui est en train de se mettre en place et dont les actes d’ici 2017 risquent d’être sanglants.
Jourdain, restez chez vous !