Une carte circule sur le web qui reproduit sur les pays européens les drapeaux des partis d’extrême droite de l’entre-deux guerres. Cela donne une carte assez tendance, avec des couleurs éclatantes et des figures souvent géométriques d’une grande force d’évocation.
Le commentaire qui accompagne la carte sur le site mapsontheweb dit en anglais: « Most of Europe with their fascist logos of years gone by ». Il y a des années ? Pas si sûr. L’exemple de l’Aube Dorée en Grèce, et tous les partis populistes européens, néo-fascites, néo-franquistes, néo-pétainistes ou néo-nazis reprennent avec plus ou moins de brio l’héritage de leurs prédécesseurs. Ah, la nostalgie…
En cette veille de scrutin européen qui promet d’être atone, vue l’absence abyssale de débat sur une Europe qui nous file un peu entre les doigts, il convient de rappeler certains faits.
Comme l’a rappelé Gilles Fumey dans l’article sur Daniel Cohn-Bendit, la construction européenne a d’abord existé pour éloigner le démon de la guerre et de la famine. Le continent européen est de loin celui où l’on s’est le plus massacré, toutes périodes confondues. Et la première moitié du vingtième siècle a été, pour les populations européennes et mondiales, l’une des pires périodes de l’Histoire. Eric Hobsbawm a abondamment commenté cette période abominable qui a vraiment atteint les abîmes de l’oppression et de la destruction de la vie humaine. A ce titre, la construction européenne est une éclatante réussite. Mais est-ce suffisant?
On peut objecter que l’Union européenne n’est pas l’Europe, tout comme la zone euro n’est pas toute l’Europe. Ceux qui font ces amalgames jouent avec le feu. Le grand problème, qui nourrit tous les populismes, c’est la confiscation de la souveraineté par une petite élite méprisante coupée du peuple. Les États se défaussent de leurs propres responsabilités à bon compte sur la Commission, mais on sait que la Commission est acquise au libéralisme qui n’est pas la panacée économique. L’Europe sociale que l’on nous promettait déjà au moment du traité de Maastricht ne vient pas. La crise financière de l’Europe continue, paupérise de manière aberrante les classes moyennes et à faibles revenus. Les très riches s’en sortent, comme toujours.
Dans ces conditions, on oublie les réussites de l’Europe et on voit réapparaître les vieux démons de la division. La guerre existe en Europe, lato sensu : Yougoslavie, Chypre, et maintenant Ukraine, sans compter les conflits locaux. Cela tourne autour de nous comme un orage. Le cœur de l’Europe ne connaît pas la guerre, mais ses marges, oui. La guerre n’a donc jamais vraiment disparu du continent.
Mais si l’Europe doit se résumer à une grande Suisse sans idéaux, sans projet, et aussi sans diplomatie ni armée, si le libre échange reste l’épine dorsale du système, effectivement, il est dur de croire à cette Europe là. D’autant plus qu’elle perpétue, hors de ses frontières, une attitude néo-colonialiste, dénoncée en son temps par Raoul-Marc Jennar. Non, l’Europe n’est pas gentille. Elle gère ses intérêts comme d’autres grandes puissances, mais en faisant croire qu’elle n’est pas aussi cynique qu’elle. Cela permet au moins de nous donner bonne conscience contre les Yankees ou les Chinois.
Alors, le vote du 25 avril risque d’être triste, d’avoir lieu par accident ou par défaut, mais pas vraiment par enthousiasme. Un mot qui fait cruellement défaut au « projet » européen.