A la différence des dinosaures de la politique qui s’accrochent aux branches au mépris des jeunes attendant leur place dans le débat, Daniel Cohn-Bendit a terminé son mandat au parlement européen de Strasbourg en avril 2014. Ces marchands d’émotion que sont les médias attendaient la larme au coin de l’oeil. Vingt ans à débattre dans l’arène européenne, quatre mandats, quatre campagnes entre France et Allemagne, portant les Verts à des scores jamais atteints.
Connu en France pour avoir allumé la « révolution » en mai 1968, Daniel Cohn-Bendit a patiemment espéré œuvrer à la construction d’un fédéralisme européen. Allemand sur son passeport, franco-allemand dans sa vie, européen par conviction, celui qui fut « Dany le Rouge » avant d’avoir été le chef des Verts ne voulait pas rater sa sortie au Parlement.
Tribun qui aimait les mots, qui maniait la surprise que certains prenaient pour de la provocation, C
ohn-Bendit aimait l’agora de Strasbourg. On attendait ses cinq minutes de temps de parole improvisées souvent insolentes. Il fut un tribun hors pair, selon M. van Renterghem, du Monde (1). Ceux qui ont manqué ces moments peuvent y jeter un œil sur cette vidéo. On pouvait l’entendre casser sa voix par l’émotion et la rage lorsque Nicolas Sarkozy ne voulait pas boycotter les Jeux olympiques de Pékin : « Monsieur le Président, c’est une honte, c’est minable d’aller à l’ouverture des Jeux olympiques ! » (1)
Le tribun franco-allemand a eu 69 ans le 4 avril dernier. Mais il ne loupe pas le débat avec l’écologiste allemand qui fut chef de la diplomatie à Berlin, Joshka Fischer et l’italienne Emma Bonino. Sans se démonter ni leur demander, il faisait se lever 800 personnes sur l’hymne européen. Discours, cadeaux, soirée dansante. « Il n’avait toujours pas pleuré. »
Lors du débat sur les 100 ans de la Première Guerre mondiale, les Verts sont tous là pour le dernier discours. L’hémicycle est désert. Alors que « le Parti populaire européen (PPE) a totalement laissé tomber son président, Joseph Daul, obligé de parler dans le vide alors que, pour lui aussi, c’est la dernière fois. »
Dany se lâche, embraye sur les États-Unis d’Europe : « Je suis né en 1945, le 4 avril. Imaginez que j’arrive sur Terre, je commence à parler et je dis à mes parents : «Dans cinquante ans, il n’y aura plus de frontière entre la France et l’Allemagne.» Mes parents auraient dit : «On a un problème. Il parle trop tôt et il dit n’importe quoi !» Voilà l’histoire européenne. Qu’est-ce qu’on a réussi ? On a réussi l’invraisemblable. » Son groupe et d’autres se lèvent et applaudissent. Martin Schulz, le président du Parlement, envoie un SMS à Dany. « Je t’ai laissé le double du temps de parole. J’ai eu raison, tu as fait un grand discours. » (1)
Une dernière soirée pour la co-présidence du groupe qu’il assurait. M. van Renterghem est là et raconte : « A la fin, il déclame quelques mots sur un ton papal : « N’ayez pas peur ! Affrontez les bêtises des eurosceptiques ! On peut être critique de l’Europe, mais si vous doutez de sa nécessité, vous avez perdu. » Juste avant ces paroles testamentaires, les Verts se sont levés tous ensemble et l’ont applaudi. Une minute, deux minutes, cinq peut-être. Les applaudissements n’en finissaient pas. Il n’y avait plus rien que ce claquement de mains long et continu au milieu du silence. Là, soudain, sans pouvoir s’arrêter, « Dany » a pleuré. (2)
En une: le dernier discours de Cohn Bendit au parlement européen.
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(1) 16 avril 2014, très bel article de Marion Van Renterghem
(2) D. Cohn-Bendit a expliqué son départ, cité par l’AFP, par « l’âge, le physique et le fait que j’ai eu un cancer de la thyroïde« .