Tout le monde connaît la biodiversité, dont on nous rebat les oreilles en nous serinant que tout va mal et que bientôt il ne restera plus rien en termes de diversité des espèces vivantes. Soit, mais on oublie de dire que personne n’est capable de dire quelle est la quantité totale d’espèces vivantes sur terre. Et surtout, on néglige furieusement le rôle de l’Homme en tant qu’agent de biodiversité. Mais oui, vous avez bien lu: l’Homme peut aussi favoriser la biodiversité. La grande étude de Xavier de Planhol, le Paysage animal, plaidait en ce sens, preuves à l’appui. Ses calculs aboutissaient à une disparition des espèces vivantes, depuis l’apparition connue de l’Homme, d’environ 1% au plus. Nous sommes donc bien loin des discours très alarmant à ce propos. Et si le danger existe, il y en a d’autres qui, pour être moins médiatiques, n’en sont pas moins préoccupants.
En effet on néglige encore plus un phénomène au moins aussi grave, et beaucoup mieux connu finalement: l’affaiblissement, voire la disparition de centaines de langues dans le monde. Des dizaines et des dizaines de langues ont déjà disparu, ce qui veut dire que ce sont autant de représentations du monde qui sont mortes et effacées. C’est d’autant plus dramatique que souvent ce sont des cultures anciennes très sophistiquées dans leur rapport au monde, et notamment au monde naturel. Un texte de l’UNESCO précise:
« Biodiversité et diversité linguistique
Conserver les langues indigènes, protéger la biodiversité
Alors qu’il est largement reconnu que la dégradation de l’environnement naturel -et en particulier des habitats traditionnels- entraîne une perte de la diversité culturelle et linguistique, de nouvelles études suggèrent que la disparition des langues a, elle aussi, un impact négatif sur la conservation de la biodiversité.
Il existe un lien fondamental entre la langue et les savoirs traditionnels (ST) liés à la biodiversité. Les communautés locales et indigènes ont élaboré des systèmes de classification complexes pour le monde naturel, qui reflètent une profonde compréhension de leur environnement local. Cette connaissance de l’environnement est intégrée dans les noms indigènes, traditions orales et taxinomies, et peut disparaître lorsqu’une communauté commence à parler une autre langue.
Les ethnobotanistes et ethnobiologistes reconnaissent l’importance des noms indigènes, des taxinomies issues du folklore et des traditions orales dans le succès d’initiatives relatives à la récupération d’espèces en danger et aux activités de restauration écologique. Ainsi, une étude réalisée au sein de la tribu Amuesha dans la branche supérieure de l’Amazone au Pérou, dont la langue est sérieusement en danger, a conclu que la diminution du nombre de locuteurs et de Sages détenteurs des savoirs traditionnels parmi les Amuesha a un effet directement délétère sur la diversité des espèces agricoles cultivées.
Une autre étude sur les dictons ancestraux du peuple Maori a procuré des informations nouvelles et pertinentes concernant la croissance des plantes, les sols et nutriments, les niches et les communautés écologiques, ainsi que sur les processus écologiques au niveau du paysage.
Ces études de cas parmi d’autres seront présentées prochainement dans un document de travail de l’UNESCO appelé ‘Les langues indigènes comme instruments pour la compréhension et la protection de la biodiversité’.
(Fin de la citation)
A ce jour, l’Atlas interactif des langues en danger dans le monde, publié par l’UNESCO, recense 576 langues « en situation critique », 231 langues éteintes depuis 1950. C’est une perte inestimable pour l’Humanité. Elle reflète une certaine mondialisation, elle-même arrimée à une forme de modernisation qui se traduit par un nivellement et une homogénéisation culturels assez angoissants.
Cela permet peut être aussi de mieux comprendre pourquoi, alors que l’économie mondialisée issue en bonne partie des États Unis tend à homogénéiser les cultures pour mieux y diffuser des denrées standardisées à l’extrême, des résistances variées s’organisent, de plus pacifiques aux plus violentes.
Souvent, pour une culture donnée, perdre sa langue, c’est perdre la dernière spécificité qui permettait de défendre et d’exprimer une sensibilité, un rapport au monde particulier. Les carottes sont cuites… Cette dynamique des langues scelle un rapport au monde encore une fois que nous ne commençons qu’à explorer. La prise en compte des savoirs traditionnels risque, en ce cas, de s’arrêter avant même d’avoir commencé. Des actions existent, mais elles méritent d’être plus largement relayées.
En une: carte de la diversité linguistique: huit pays concentrent à eux seuls plus de 50% de la richesse linguistique mondiale (en rouge) et en bleu les pays où la divertit linguistique est la plus forte…