« Le pape, combien de divisions? » se serait écrié Staline face à Churchill à la fin de la guerre quand les libertés religieuses à l’est de l’Europe étaient remises en cause. Dérision, sans doute, mais l’URSS a disparu tandis que le Vatican, lui, résiste et sait même se rendre sinon indispensable, du moins utile pour dénouer des dossiers délicats. Le dernier en date, et non des moindres, est le dossier cubain. On le sait, Cuba est frappé par un embargo depuis les années 1960, pour des raisons qui ont fini par être un peu oubliées. Depuis la crise des missiles, en 1962, les USA ont décidé d’imposer un embargo à l’île afin de rendre impossible l’installation de tout matériel militaire menaçant le territoire des états unis.
En réalité, le mesures de rétorsion envers le régime castriste avaient démarré dès 1960, et les motivations de l’embargo sont loin d’être glorieuses: officiellement, il s’agit de « punir » un régime parfois qualifié de totalitaire, ce qui est clairement abusif dans les termes. Et comme l’a déclaré un homme politique américain au début des années 1960, Lester D. Mallory, alors sous-secrétaire d’État assistant aux Affaires inter-américaines des Etats Unis, dans un mémorandum, la seule façon de renverser Castro était de provoquer « la faim et le désespoir » parmi les Cubains, afin de les pousser à « renverser le gouvernement », soutenu par « la majorité des Cubains ». Il déclare que, dans cet objectif, le gouvernement américain doit utiliser « tous les moyens possibles pour miner la vie économique de Cuba ». Force est de constater que dans ce cas, le blocus, appuyé par les Cubains en exil aux USA, est un cuisant échec. Surtout, alors que le blocus est censé affaiblir le gouvernement, c’est la population qui est d’abord touchée.
Les raisons officieuses de l’embargo sont moins avouables: punir la volonté d’indépendance d’un petit pays qui a osé tenir tête à l’impérialisme américain et punir aussi les mesures économiques prises par le gouvernement cubain contre les intérêts économiques américains à Cuba. En somme, de la vraie politique froide et intéressée, bien loin des « droits de l’homme ».
C’est pour ces raisons que de nombreuses voix se sont élevées au cours des années 2000 pour demander au moins une levée partielle de l’embargo. Les exilés cubains, peu connus pour être des gauchistes forcenés, ont eux-mêmes fini par admettre que l’embargo n’était peut être pas la solution. Et le Pape François a joué semble-t-il un rôle actif dans le rapprochement récent entre les USA et Cuba. Ce pape latino-américain connaît bien son continent, et l’Argentine a déjà profité de l’entremise pontificale par le passé pour régler des conflits frontaliers notamment avec le Chili. Ce n’est donc pas une nouveauté que l’intervention des papes dans les affaires territoriales et diplomatiques sud-américaines, même si cela peut paraître surprenant pour des Français laïcs…
Le 17 décembre dernier, les Usa et Cuba ont donc décidé de reprendre leur relations diplomatiques, qui étaient suspendues depuis 1961. Par son intermédiaire, les deux parties ont pu se rapprocher, et ouvrir une nouvelle ère dans les rapports USA-Cuba. Entre temps, la présence accrue de la Chine sur place, à Cuba, et le retour de fait des USA comme premier partenaire économique de Cuba, ont en quelque sorte rendu caduc l’embargo, encore défendu idéologiquement par quelques-uns. Il faut espérer que cette petit île « trop loin de Dieu et trop près des Etats-Unis » comme on dit de l’Amérique latine, n’ait pas à souffrir de cette ouverture.
En une: Obama et le pape François au Vatican. Crédit: La Stampa