Le Yémen, angle mort du Moyen-Orient ? Sans doute. Mais c’est ici que les grandes puissances régionales, l’Iran et l’Arabie saoudite, s’affrontent comme les Etats-Unis et l’Union soviétique le faisaient au Vietnam ou en Europe après la 2e Guerre mondiale.
Voici Sanaa, capitale historique d’un pays ancien, devenue la cible de bombardements dans le cadre d’une offensive menée par Riyad à la tête d’une coalition de 10 pays sunnites. « Tempête décisive » veut la peau d’Abdelmalek al-Boutih, 33 ans, à la tête du mouvement Ansar Allah, solidaire de Bachar al-Assad et parrainé par l’Iran. Chiite, an-Boutih représente cette confession qui compte le tiers du Yémen, pourtant, selon Martine Gozlan (1), loin du chiisme iranien. Le fief de ce mouvement est à la frontière avec le royaume des Saoud où ils ont conforté leurs positions avant de s’installer à Sanaa en 2014, base de leur avancée jusqu’au golfe d’Aden.
Dans cette guerre « totale », l’Arabie a lancé 150 000 hommes et des dizaines d’avions. C’est la Ligue arabe (Egypte, Jordanie, Maroc…) et la Turquie qui a eu l’initiative de cette entreprise qui vise à contrer les négociations en Suisse ente les Etats-Unis et l’Iran sur le nucléaire. Les pays arabes craignent par-dessus tout une « bombe chiite ». Dans le même temps, les Etats-Unis ne peuvent pas ne pas soutenir cette opération contre Al Qaida et Daech.
Pour M. Gozlan, « cette chevauchée fantastique n’a qu’un but réel pour l’Arabie et son nouveau vieux roi belliqueux : régler son compte au chiisme, tordre cet arc vénéneux qui nargue le royaume, déclenchant une insurrection à Barheïn (matée dans le sang en mars 2011 par les chars saoudiens), fomentant des troubles internes dans sa province pétrolifère, maintenant Bachar à Damas… »
Le Yémen est l’un des hommes les plus malades du monde arabe, miné par la misère, le tribalisme, les fractures confessionnelles et régionales, terreau idéal pour Al Qaida qui parvient à mobiliser les Yéménites contre leur président en 2011. Le pays entre dans une zone de turbulences avec l’arrivée d’Abd Rabbo Mansour Hadi. Quatre ans plus tard, les chiites contestant la dégradation de l’économie et la corruption poussent le chef de l’Etat à fuir à Aden. C’est le chaos : attentats suicides, actes terroristes revendiqués par… Daech. L’Arabie saoudite lance sa croisade contre ces chiites, appelant à la riposte depuis l’Iran où Alaeddine Boroujerdi, président de la Commission des affaires étrangères au parlement de Téhéran, cité par M. Gozlan : « L’Arabie saoudite attise les flammes d’une nouvelle guerre dans la région. La fumée de ce feu entrera dans ses yeux, car la guerre ne se limite jamais à un seul endroit ».
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(1) Source : « La guerre totale entre sunnites et chiites a commencé », Marianne, 3-9 avril 2015