On peut s’ébrouer sur les réseaux sociaux, mais rien ne vaut une rencontre dans la rue. Comme celle qui eut lieu il y a quelque temps entre Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel et Jean-Marie Roughol, SDF parisien, vivant de la manche aux abords du Drugstore des Champs-Elysées. Son fond de commerce ? Prévenir les clients de l’arrivée des pervenches contre un pourboire. Notre héros du jour a un sens aigu de l’humour : quand il mendie, c’est « pour ses vacances à Courchevel » ou « pour manger chez Robuchon ».
Son art du contact lui vaut d’interpeller Jean-Louis Debré : « Vous devriez vous présenter aux élections présidentielles »a-t-il lancé tout à trac. Le magistrat répond : « Si je suis président, vous serez mon premier ministre. » Facebook pourrait-il produire ces rencontres ?
Les deux hommes sympathisent. « C’est une belle rencontre, une rencontre de hasard », raconte à l’AFP Jean-Louis Debré. Un jour, alors qu’il prend des nouvelles du SDF, l’ancien ministre de l’Intérieur entend un couple s’étonner : « T’as vu, c’est Debré qui parle à un clodo ». Choqué, il lance un défi à Jean-Marie Roughol. « Je lui ai dit qu’il pourrait en remontrer à ces gens prétentieux et imbus d’eux-mêmes. Et je lui ai proposé d’écrire un livre pour raconter son histoire ».
Jean-Louis va aider Jean-Marie à mettre en forme son histoire . En signant préface et postface de ce livre étonnant : Je tape la manche (1). Nous voici donc dans la rue, avec un récit brut de décoffrage de ce qu’est la vie d’un SDF. Mais une seule vie, car aucune ne se ressemble.
Son témoignage ? Pour partie, il ressemble à celui que Djemila Zeneidi-Henry avait recueilli pour son livre de géographie sur les SDF (2). Enfance cabossée, avec des parents plus que défaillants, les familles d’accueil palliant les manques tant bien que mal. Sans argent de poche, il « tape la manche » avec un copain, comme « un jeu » ainsi qu’il le confesse… Vient le temps du travail. Pas facile de se stabiliser. Les jobs sont rarement payés, même s’il est nourri, peut s’offrir une chambre d’hôtel de temps en temps. Mais le plus souvent, il faut trouver le sommeil dehors. Parcs, squats, métro (3). Tout en slalomant entre les violences entre SDF, vols et bagarres, les « toxicos » qui empoisonnent la vie.
Malgré tout, Jean-Marie Roughol veut se situer du « côté des chanceux de la rue ». A quartier riche, manche généreuse, jusqu’à 1000 euros par mois. Il aime « travailler » devant le Drugstore où les clients fortunés sont parfois généreux. Pour peu qu’on l’aborde avec talent… « Le pèlerin » est un animal dont il devine la générosité sans toujours prévoir les insultes…. Car « la manche, c’est un métier » philosophe-t-il.
Car Jean-Marie Roughol raconte dans son livre avoir été en HLM. Et finalement, il revient à la rue. « La rue (…), tel est à nouveau mon destin. Je n’arrive pas à m’en extraire. » En fait, Jean-Marie est un surdoué du contact. C’est pourquoi il se verrait bien « ouvrir une crêperie »…
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(1) Je tape la manche. Une vie dans la rue, de Jean-Marie Roughol et Jean-Louis Debré, éditions Calmann-Lévy, 176 pages, 16,50 €.
(2) Djemila Zeneidi-Henry, Les SDF et la ville. Géographie du savoir-survivre, Bréal, 2002, 288 p.
(3) Source : Flore Thomasset, La Croix, 15 octobre 2016