Libération publie une alerte pour un nouveau front d’aménagement touristique dans le Jura. Les dinosaures de l’ère tertiaire tropicale sont de retour dans cette région connue pour la plus froide de France. Sous une forme physique nouvelle, avec comme cadeau (empoisonné), une bulle tropicale dont l’association le Pic Noir diffuse une photo (ci-dessus) qui donne à voir, sur le premier plateau du Jura, l’impact visuel et environnemental. Des élus, sans culture financière ni moindre ambition de développement local sautent tout d’un coup sur la proposition d’une multinationale comme des enfants sur des jouets. Sans penser qu’avec les millions d’euros dépensés, ils les engagent toute une population avec des plans de rentabilité qui relèvent de la comète. On se plaint de la médiocrité des politiques en France (suivez notre regard du côté de la Lorraine ou à Levallois) mais faut-il pour autant excuser autant de bêtise que de cécité dans cette région de France où sont nés des esprits mondialement connus comme Pasteur, Proudhon, Victor Hugo, Courbet, Ebelmen? On trouvera l’astuce géographique en regardant bien cette carte du foncier à Poligny qui a poussé cette firme à faire une offre ici : la forêt est à l’écart de la ville, suprême argument pour les aménageurs qui voulaient éviter les expropriations et les problèmes liés à l’eau et les expropriations. Mais savent-ils ce qu’est un plateau karstique, sans eau ? Savent-ils ce qu’est le climat ici ? En pleine conférence mondiale sur le climat, le Jura trouverait l’énergie pour chauffer une bulle singeant les tropiques ? Imbécillité ! On se pince…
Après Roybon où s’étaient affrontés les Zadistes et les partisans de l’ouverture d’un Center Parc, un nouveau projet de bulle touristique chauffée voit le jour dans le Jura.
Au moment où se prépare la COP-21, nous viennent du Jura des nouvelles alarmantes. Non pas que les dinosaures de Loulle se soient réveillés après avoir laissé leurs traces remontant à 155 millions d’années. Mais une autre espèce de dinosaures de l’action publique s’est manifestée au printemps sous la forme d’investisseurs mystérieux, habillés d’une façade respectable appelée joliment Pierre & Vacances. Cette multinationale du tourisme de masse confisque sur la planète des zones préservées remarquables (forêts, montagnes, littoraux, villes) pour ses intérêts propres et ceux d’une seule classe sociale à qui on offre le bonheur dans des bulles tropicales. La nature est mise en scène au prétexte que les touristes réclament des aires de jeu. Mais le tourisme n’est-il pas autre chose que ce que Pascal avait stigmatisé comme le « divertissement » ? Au XXIe siècle, n’est-on pas en droit d’attendre qu’il soit ce qu’il devrait toujours être : la rencontre de l’autre ?
Destination alléchante ?
Ainsi donc, le tonnerre est tombé non loin de l’abbaye de Baume-les-Messieurs d’où sont partis les fondateurs de Cluny, à Château-Chalon patrie du vin jaune, à un jet de pierres de la vigne de Pasteur à Arbois. Quel coup de tonnerre ? Une offre présentée de manière alléchante par l’homme d’affaires Gérard Brémond : une bulle tropicale chauffée à 29°C, y compris pendant les hivers où le mercure peut descendre à – 20°C. Une bulle, donc, garnie de 400 chalets en bois, nommés « cottages » dans le projet, construits dans une forêt infestée de tiques sur un plateau karstique sans eau, troué comme un emmenthal. Le tout à proximité d’une ancienne route royale devenue Nationale 5 reliant Paris à Genève et son aéroport international.
La position géographique semblait être un atout après les difficultés de Roybon (Isère) et sa forêt humide. Là, c’est tout l’inverse. Pas d’expropriation à prévoir, la ville de Poligny cédant plusieurs centaines d’hectares de forêts d’un seul tenant. Pas d’espèce animale rare à protéger. Pas de concurrence sur ce créneau touristique, dans une région pourtant très peu dense où les seules villes à moins de 100 kilomètres de distance sont Dijon, Besançon, Dole, Lons-le-Saunier. L’absence de métropole comme bassin d’alimentation touristique ne semble pas inquiéter P&V qui compte sur les Suisses pourtant peu amateurs de ce genre de loisirs et qui accélèrera la rotation des touristes deux fois par semaine, sur les Allemands voire les riches Russes.
Ayant travaillé pourtant dans le plus grand secret pendant deux années, Pierre & Vacances dévoile son plan au printemps 2014 à la population locale. Les élus (de tous bords) sont de mèche, flairent la bonne affaire avec un méga-projet qu’ils mettraient au compte de leur mandature. Quasiment aucune contestation publique n’a été faite avant la réunion de la commission nationale du débat public dont les travaux ont été clos en septembre 2015. Le Conseil général du Jura et la région Franche-Comté auront à financer une large part des 170 millions d’euros d’investissements et infrastructures, aménagements. Pour la multinationale, c’est une manière de drainer l’argent public pour des retombées très aléatoires (les principales entreprises de tourisme en France sont actuellement en surcapacité et voient leur chiffre d’affaires global baisser). Le prix des bungalows est largement surévalué et d’une pérennité douteuse. Pierre & Vacances rend captifs ses partenaires qui ne peuvent se retirer une fois le contrat signé, sauf à accepter une perte financière lourde. Les partenaires sont les propriétaires des cottages et les collectivités qui ont les équipements. Pierre & Vacances n’est jamais propriétaire, seulement exploitant et gérant des baux commerciaux. Les risques ne sont pas partagés mais endossés seulement par les collectivités et les particuliers.
Les emplois créés ex nihilo se monteraient à 300, soit 220 ETP (équivalent temps plein). Une paille, vu la hauteur de l’investissement. Les types de contrats de travail concernent donc beaucoup de travail à temps partiel, peu qualifié, précaire, faiblement payé (dans d’autres Center Parcs, beaucoup sont à 9 quelques heures par semaine, le week end le plus souvent, offrant l’équivalent d’un salaire permettant juste d’amortir le déplacement pour aller au travail).
(suite ici )
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Source de la photo : Le Pic Noir qui est aussi le site contenant le maximum d’informations sur ce projet
Sur la question des bulles tropicales, Geographica avait déjà publié cette analyse.
Une enquête solide de Jacky Lièvre sur son blog de Médiapart
Center Parcs et la crise climatique
Comment Center Parcs appauvrira le département
2 réponses à “Retour des dinosaures dans le Jura (Center Parcs)”
Des aménageurs qui décidément s’illustrent partout, encore un dossier comparable à celui de Notre-Dame- des -Landes, désastre au niveau des infrastructures , destruction de sites remarquables, financements confiés à ceux qui financent aussi les campagnes électorales et font la pluie et le beau temps sur les instituts de sondages et la presse, et cerise sur le gâteau, chantage à l’emploi et à la croissance. Cynisme absolu.
Un aspect choquant du projet de Poligny est la captation d’un bien commun (parcelles de forêt communale) par un entrepreneur spécialisé dans le business touristique. Les citoyens sont dépossédés de leur bien, c’est un cas d’enclosure caractérisé.
Ce tour de passe-passe fait l’objet d’un montage savant, élaboré pour en garantir l’obscurité. Jugez plutôt :
1) la commune vend les parcelles au promoteur dans le même temps,
2) elle s’allie avec la communauté de communes, le Conseil départemental et le Conseil régional pour créer une société d’économie mixte ;
3) elle modifie son projet de plan local d’urbanisme pour rendre les parcelles de forêt constructibles ;
4) elle accorde le permis de construire (après enquête publique, mais il est aussi possible que le projet fasse l’objet d’une procédure unique, comprenant même la phase permis de construire !) ;
5) Pierre et Vacances construit son aménagement touristique (la fameuse bulle assortie de sa galerie des marchands du temple, et des attractions extérieures…, aires de jeux…) ;
6) La société d’économie mixte loue cet aménagement à Pierre et Vacances qui, de son côté, s’engage pour 20ans.
La boucle est bouclée ! La commune vend le bien commun pour ensuite le louer. Cerise sur le gâteau : cet aménagement touristique reviendra de droit à la société d’économie mixte au bout de 20 ans. Il n’est pas besoin d’être un prophète averti pour imaginer son état de vétusté ; imaginez : 20 ans dans un pays froid et pluvieux !
Voilà comment une commune brade le bien commun dont elle est responsable, qui, de facto, est producteur naturel de richesse (le bois) au bénéfice d’un mirage économique.
Petite remarque : dans l’article, il est indiqué que « quasiment aucune contestation publique n’a été faite avant la réunion de la commission nationale du débat public« . Je voudrais corriger ces propos : l’action du Pic noir a commencé dès l’automne 2013 par la mobilisation d’un groupe de citoyens qui a abouti à la création de l’association en mars 2014. A partir de cette date, le Pic noir a commencé à « faire du bruit » sur le projet jusqu’à provoquer la réaction des élus début décembre 2014. En effet, le Pic noir a organisé courant novembre 2014 une réunion publique d’information qui a réuni quelques 280 personnes, ce qui a obligé les élus à réagir et à dévoiler une partie du projet. A partir de ce moment, les cartes ont été posées.