Dans le temps jadis, lorsque Jean-François Staszak s’intéressait à la crise urbaine « comme produit culturel », il publiait dans les Annales de géographie (1999, vol. 108, n°607) un article où il faisait la part entre l’économie et ce qu’il appelait alors la « géographie culturelle » pour comprendre pourquoi la middle class blanche délaisse les centres-villes. En concluant que les prophéties autoréalisatrices jouent un rôle considérable dans la production de l’espace urbain et sur le fait que définir la « ville » exigeait beaucoup de doigté.
Le 18 juillet 2013, Détroit s’est déclarée en faillite. Elle n’est pas rayée de la carte comme Dresde en 1945 et nul doute que les géographes iront toujours en pèlerinage « sur le terrain » à Détroit (ou en face, Windsor, par exemple) mais Motor City a achevé sa lente agonie financière. Un hara kiri qui permet à Rick Snyder, gouverneur de l’Etat du Michigan, d’autoriser un défaut sur une dette colossale de 18,5 milliards de dollars. Pour cette ville de « premier plan », Barak Obama est alerté pour aider l’Etat à trouver une solution « robuste » qu’on appréciera chez ces Américains donneurs de leçons libérales en Europe.
Comment les « experts » ont interprété la crise urbaine ? Kevyn Orr incrimine « une mauvaise gestion financière, une population en baisse, une érosion de la base fiscale pendant ces quarante-cinq dernières années ». La ville avait été invitée à vendre sa collection d’oeuvres d’art et les fonds de retraite à qui Détroit doit 9 milliards de dollars à mettre en sourdine leur procédure judiciaire. Aujourd’hui, la justice doit dire si Détroit pourra renégocier sa dette.
Pour les vieux routiers de la géographie des Etats-Unis, Détroit, ville fondée en 1701 par le Français Antoine de Lamothe-Cadillac, était la capitale des Big Three (Ford, Chrysler, General Motors) qui avaient donné leur nom à un groupe de rock (le MC5, « Motor City5« ), une maison de disques (Motown, pour Motor Town). Le déclin de la mono-industrie remonte aux années 1930 et il a fait fuire plus de la moitié de la population en soixante ans, sans doute faute de services publics suffisants. La criminalité monte en flèche et les flics mettent près d’une heure à se déplacer quand on les appelle.
Pourtant Détroit n’est pas sans ressources créatives. Elle est une ville « noire » à 80% (comme on dit de Boston qu’elle est « blanche »), le tiers de son territoire est en friche, reconverti parfois en potagers. Les photographes tentent de saisir le mystère de cette ville (voir les photos d’Yves Marchant et Romain Meffre), les musiciens rendent hommage au berceau de la musique soul et à ce paradis du punk et de la techno. Et Eminem vous offre ce clip culte pour que Détroit renaisse : « Welcome 2 Detroit City ».
Détroit, une autre manière de faire la géographie des villes américaines.