Les passe-frontières que sont Manning, Snowden, Assange, fils du net reformatent à leur manière la géopolitique du monde, avec des technologies mal connues des militaires et des surveillants du monde. Ils ridiculisent les pouvoirs en place qui croyaient faire leur sale besogne dans notre dos. Et maintenant, ils sont des héros que les pays non-alignés s’arrachent à la barbe d’un pays qui se croit encore « le plus puissant du monde« . Il n’y a qu’Obama et des Etatsuniens, sûrs de leur bon droit, qui les traînent (Manning) ou voudraient les traîner devant les tribunaux.
Il est bon de lire Jürgen Habermas, philosophe allemand reconnu comme une haute autorité intellectuelle pour remettre les pendules à l’heure. Nicolas Weill l’a interrogé pour Le Temps du 14 août 2013
En vertu de ce Patriot Act, les services secrets échappent à tout contrôle. Le problème n’est pas seulement, ici, le volume important de données que la NSA collecte partout et brasse à elle seule, à un niveau inconcevable. L’exemple de Lavabit, le service de messagerie chiffrée qui avait été lancé au Texas, le montre. Cette entreprise vient de décider de cesser son activité en guise de protestation contre le gouvernement, car elle ne pouvait plus garantir à ses clients la protection de leur sphère privée. En effet, le FBI, la NSA et d’autres agences étatiques ont obtenu d’y accéder, sous la contrainte, par voie de justice, alors que la protection de cette sphère privée est inscrite dans la Constitution.
Les très récentes entrevues secrètes du président Obama avec les patrons de Google, Facebook, Yahoo et Microsoft montrent que la puissance des services secrets américains face aux entreprises d’Internet n’est pas seulement un problème américain, mais nous concerne tous. Internet ne connaît aucune frontière nationale.
Je ne voudrais pas qu’il y ait ici malentendu : l’antiaméricanisme existe bien, particulièrement en Allemagne, et de longue date, toujours allié aux préjugés et courants politiques les plus répugnants. Mais le respect des droits fondamentaux élémentaires est à la base de l’amitié entre les Etats-Unis et l’Europe.
Si cela se fait dans le dos des citoyens, sur le mode technocratique, la démocratie, qui jusqu’à présent ne fonctionne que dans le cadre de l’Etat-nation, sera complètement évidée. Dans cette situation, les élections européennes qui auront lieu dans un an vont déclencher une vague de populisme de droite. Ce scénario ne pourrait être empêché qu’à travers une alliance des partis proeuropéens, et un accord entre eux sur un changement politique, avec pour objectif un noyau dur européen fonctionnant sur le mode de l’intégration démocratique. Mais il ne reste que peu de temps pour y parvenir.
Traduit de l’allemand par Frédéric Joly