Jean-Pierre Pernaut, géographe de la France profonde


Dans La carte et le territoire de Houellebecq, l’un des héros nommé Jean-Pierre Pernaut, avait eu l’honneur d’avoir son portrait pouvant parler à des millions de Français : homme sur la cinquantaine, bourrin et beauf, de droite, présentateur du journal de la mi-journée à TF1, saltimbanque des terroirs et des traditions.

Mais on a peu repris la soirée baroque que le romancier offre à ses lecteurs qui acceptaient de passer la Saint-Sylvestre dans l’hôtel particulier de Jean-Pierre Pernaut à Neuilly. On y voyait, entre autres, une France représentée ce soir-là par des paysans vendéens vous accueillant avec des fourches, dans les salons, un stand de produits auvergnats, deux orchestres basque et savoyard, un groupe de polyphonies corses. Dans le bureau de Pernaut, où trône une impressionnante bibliothèque de guides touristiques et de Sept d’or, on voit comment le présentateur construit sa France comme représentation. Si la carte précède le territoire, le journal de 13 heures précède la réalité. En choisissant selon sa sensibilité et ses lubies, Pernaut fait la France. Le territoire est une représentation comme Barthes l’analysait lorsqu’il écrivait sur les guides de voyage : «Pour le Guide Bleu, les hommes n’existent que comme « types ». En Espagne, par exemple, le Basque est un marin aventureux, le Levantin un gai jardinier, le Catalan un habile commerçant et le Cantabre un montagnard sentimental ». (Mythologies, Le Guide Bleu).

Baudrillard nous est nécessaire pour mieux comprendre Pernaut. On saura gré à Pernaut de n’être qu’un mousquetaire franchouillard, fier de son patrimoine et héraut de « la France qui souffre » (en verlan sarko). Erwan Desplanques (Télérama, n° 3327) lui reconnait de vraies qualités de géographe tout en déniant à Lorànt Deutsch de se revendiquer historien.  Mais mesure-t-on qu’on a échappé au pire lorsqu’on voit la corporation historienne devant se mettre droit debout devant un mur de 2 millions d’exemplaires sur l’histoire de Paris (le Métronome). Et devoir revenir sur un nouveau chantier, celui d’Hexagone, le nouvel opus du camelot de l’histoire. Un exemple ? La bataille de Poitiers où Charles Martel triomphe du « déferlement sarrasin » avec « Coran dans une main, cimeterre de l’autre » (p. 224), version épique, chrétienne et monarchique. Certes, Lorànt Deutsch n’est pas encore professeur à Paris-IV tout comme Pernaut ne revendique pas de thèse en géographie régionale de la France avec Pierre Estienne. Mais ces baladins réacs en carton-pâte pourraient être aussi crédibles que Zlatan Ibrahimović en acteur à la Comédie française et Kerviel préfet de Bretagne. Il n’empêche : si Pernaut se mettait tout d’un coup à publier des livres de géographie chez Armand Colin, il faudrait un comité des sages (Lévy-Lussault, C. Pierret et R. Knafou) pour dénoncer les approximations sur les ZPIU de la métropole strasbourgeoise et dire qu’en matière de cuestas, « la coupe est pleine ».

A moins que le Pernaut de Houellebecq ne soit qu’un mauvais rêve ironique à soumettre à Stéphane Guillon. Il lui diagnostiquerait sans doute une maladie de la civilisation télévisuelle : la géographite qui consiste à commencer tout reportage par un pointage cartographique en forme de zoom et terminer son laïus à 13h30 par une carte météo, en insistant surtout sur celles qui annoncent du mauvais temps.

 

 

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Pour en savoir plus : Houellebecq parle ici de Pernaut

Et Pernaut qui s’emmêle les pinceaux de géographe ici


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