Les Bretons se rendent-ils compte qu’ils exaspèrent la France ? L’affaire de l’écotaxe est la goutte d’eau qui peut faire déborder le vase de sympathie qu’avaient les Français pour la Bretagne. Alors que partout en France, les automobilistes paient au prix fort leur péage à des sociétés d’autoroute toujours plus gourmandes (demandez le tarif en Provence où les péages pleuvent comme à Gravelotte), les Bretons rechignent à payer une taxe au nom de… la géographie. Pensez donc ! Les pauvres Bretons seraient isolés sur leur péninsule et les Alsaciens, les Basques, les Niçois et les Auvergnats devraient gober l’argument.
Personne ne nie la gravité de la crise économique, sociale, psychologique dans cette région autrefois si pauvre, qui fut choyée par le volontarisme du général de Gaulle, qui a cru s’être engagée sur la voie de la richesse et qui voit son horizon se boucher. Plus que d’autres régions, elle va prendre de plein fouet la crise agricole qui arrive et la politique immobilière qui va déclasser son tourisme. C’est la pointe avancée non pas vers l’Ouest, mais vers le bas, grince l’éditorialiste libéral Eric Le Boucher (1).
Les câlinothérapeutes du territoire peuvent argumenter que les Bretons sont formidables : un taux de chômage plus faible qu’en France, une économie diversifiée, un emploi industriel au double de la moyenne française, une terre remembrée et la mer qui tend les bras aux touristes. Mais tout cela est en train de s’écrouler. Les trois secteurs industriels qui ont fait la fortune de la Bretagne sont en déclin : télécoms échouant à innover et devant faire face à une Chine plus offensive que jamais dans les segments bretons ; automobile perfusée ici alors que la filière en France est très mal en point, faute de produits adaptés à la demande ; enfin et surtout, l’agroalimentaire et ses 65 000 emplois qui a biberonné à une politique européenne en train de changer. Que peut-on cultiver sur les landes bretonnes (à ne pas confondre avec les grasses prairies normandes) ? Vers quel virage qualitatif aller quand la région bat le record de consommation d’intrants -en langue vernaculaire, de pesticides ?
Le positionnement bas de gamme de l’industrie alimentaire qui avait été dénoncé en son temps par des visionnaires renvoyés poliment au temps de la bougie revient comme un boomerang au moment où le marché européen et mondial s’invite dans les bilans des entreprises : l’augmentation du prix des céréales, les abattoirs non compétitifs condamnent l’industrie bretonne qui peut difficilement s’inscrire dans le haut de gamme. Se positionner sur le marché du lait en poudre pour profiter de l’aubaine chinoise est suicidaire : que se passera-t-il lorsque les concurrents néozélandais ou allemands ne manqueront pas un jour d’assécher ce marché du lait ?
L’avantage des autoroutes gratuites a gommé l’isolement géographique mais il n’a pas donné lieu à la construction d’un réseau moderne vers le port de Nantes, la « seule ville qui a les caractéristiques pour devenir la métropole économique de l’Ouest ». (1)
Et le tourisme ? Une échappée pourrait être d’offrir des résidences aux seniors « pour concurrencer le Midi » ? C’est méconnaître les raisons profondes pour lesquelles les seniors vont dans le Midi qui est le soleil. La Bretagne n’en a pas suffisamment l’hiver pour espérer être sur ce créneau-là.
L’exaspération des Français vient du fait que pour solder les mauvais choix économiques de la région et ses acteurs, il soit fait appel à l’État français. Que peut l’État « dans ces grands vents de face, où la Bretagne retrouve ses handicaps naturels ? Elle est loin. Sa capitale, trop petite. Sa terre ingrate. Sa mer mal exploitée. L’économie bretonne héritée des années 1960 est morte, elle ne renaîtra pas. Son avenir est complètement à réinventer » (1). On dira encore en Bretagne qu’il s’agit d’un diagnostic « qui vient de la capitale » comme on a pu lire sur les pancartes à Quimper le 2 novembre. Ce serait plonger la tête dans le golfe du Morbihan pour ne rien voir.
Chers Bretons, on attend mieux de vous que ces manifestations qui ne sont pas à votre honneur. Mettez-vous à table. Mangez vos chapeaux ronds. Pour discuter sérieusement et sans paranoïa vis-à-vis de l’État français.
Géographica aime la Bretagne et a publié :
– Bretagne qui pleure et Afrique qui rit
– Au secours, la Bretagne brûle
– Rennes et sa rue qui donne soif
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(1) Les Echos, 18 octobre 2013.
4 réponses à “Bonnets rouges et chapeaux ronds dans les jacqueries de l’Ouest”
C’est tout de même ironique que Les Echos déplore la situation actuelle de la Bretagne alors même que la région a adopté aveuglement depuis les années 60 toutes les orientations économiques pourtant prônées par ce même journal…
Le cynisme du libéralisme, c’est exactement cela.
Bel article avec du fond qui évite l’hystérie presque maladive des réseaux sociaux et des médias traditionnels. Le bon sens a encore de l’avenir. Félicitation !
En ma qualité d’Alsacien de naissance et de cœur, fréquentant fréquemment la Bretagne, connaissant bien l’Ecosse et devant me rendre prochainement et pour la première fois en Catalogne, vivant dans les Vosges les plus profondément vosgiennes, j’approuve ce commentaire des quatre mains.