On se demande de quel masochisme vivent les médias. Il y a des géographes marchands de soupe statistique qui leur vendent des fractures, forcément françaises. A croire que le pays est nostalgique de Chirac, accroché au pouvoir comme les moules au rocher de Cancale, avec cette marotte fracturée et qui, en bon roi fainéant, n’a rien fait.
Voici désormais que la fracture est « vertigineuse« (*) : d’un côté, des métropoles prospères (40% des habitants, 80% du PIB et 80% des immigrés), d’un autre côté, les zones périurbaines en « état de fragilité sociale« . La belle trouvaille ! Avec une cuillère de mondialisation et de libéralisme, on va justifier ces tartines de pauvreté qu’on feint de découvrir. Mais bien avant notre géographe Robinson qui allait conseiller Sarko du temps de sa splendeur élyséenne, on savait tout ça. Il suffit de lire aussi un peu d’histoire urbaine pour voir que l’éviction des classes pauvres des villes, ça a souvent existé, que le bon baron Haussmann a poussé à l’extérieur de Paris les pauvres comme la spéculation aujourd’hui. Ce « périurbain » là où beaucoup de gens ont péri, ça s’appelait les bidonvilles.
Sébastien Le Foll (à ne pas confondre avec le ministre Stéphane) feint de découvrir les géographes et relit l’Américain Edward W. Fox et son livre L’autre France. Une France où la ligne (car en France, il faut des lignes : Le Havre/Marseille, St-Malo/Genève..) de démarcation nationale sépare… « un pays côtier largement ouvert vers les mondes extérieurs et animé par l’esprit d’entreprise« , et un autre, terrien, « continental et replié sur lui-même« .
Que penser de ces âneries ? Nantes et Bordeaux au XVIIIe ou Marseille au XIXe se sont « ouverts » sans que la monarchie ait eu à trancher ce dilemme comme le pense notre Américain. Les Nantais et Bordelais ont été, certes, encouragés à faire du trafic négrier, mais l’État n’a pas tout décidé. Paris et sa « monarchie continentale, son gouvernement royal et ses yeux de terrien » comme aurait dit le grand Fernand** ont ouvert sur le reste du monde lorsque c’était le moment : l’Atlantique et ses ports au moment des colonisations, ou de la splendeur américaine, la Méditerranée et Marseille au moment de la prise en main du territoire maghrébin. Si nous avons le deuxième empire marin du monde, c’est que nous ne sommes pas si terriens que cela.
Enfin, notre brave Jacques Attali, bien connu pour dormir peu et recopier des auteurs qu’il lit trop vite, ose expliquer*** : « Au XVIe siècle, François Ier a construit les châteaux de la Loire pour y établir sa capitale, et Le Havre pour en faire un grand port. S’il avait fait du Havre sa capitale, comme les Italiens du Nord à Venise, puis Gênes, les Flamands à Anvers et Amsterdam, nous n’en serions pas là ». Il voudrait faire croire que la France a commis une grave erreur économique en se fermant au monde… Mais ne s’est-elle pas ouverte à l’Europe ? Vaut-il mieux avoir l’Angleterre ou les États-Unis comme premiers partenaires plutôt que l’Allemagne ? Et qui déciderait qu’un peuple de paysans, d’immigrés (comme la famille Hollande au XVIIe siècle, ou Sarkozy au XXe siècle) pourrait par la seule décision royale « se tourner vers la mer » ? Venise et Gênes ont été des républiques indépendantes et non italiennes, les Anversois et Amstellodamois sont des marchands citadins de petits États qui sont restés très terriens aussi (vaches, tulipes, orge et bière, pommes de terre…).
Quand les étudiants sont sévères avec leurs profs, ils parlent de « cours à deux balles ». On se permettra de l’être devant ce fatras du Point qui n’est pas de la géographie.
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* S. Le Foll, Le Point
** Braudel
*** Urgences françaises