Ceux ont joué aux châteaux de sable sur la plage savent comment faire pour se protéger des intrus, on trace un fossé comme au Moyen Age en poussant un soupir de soulagement. Devenir une île lorsqu’on est au centre de l’Europe est un fantasme bien pardonnable pour un pays qui n’a pas d’accès à la mer. Après tout, « la mode revient aux fossés et palissades » pour E. Gernelle (1) qui aurait tort de pleurer la liberté de circulation chérie par Voltaire et Casanova tant ils furent précisément deux voyageurs tracassés par les polices et, notamment Voltaire qui dut son salut aux… Genevois. Valeureux Genevois et francophones auxquels on rend hommage, comme aux Vaudois, Jurassiens et Bâlois de n’avoir pas voté comme les cantons germaniques vent debout contre l’immigration massive.
Les froussards que Roosevelt appelait les « somnambules qui marchent à reculons » ont oublié qu’ils sont riches parce 300 000 Allemands et 140 000 Français frontaliers (dont quelques uns de nos meilleurs géographes, dont certains sédentarisés) œuvrent aussi à la croissance et la richesse de leur pays dépendant à 60% des échanges intra-européens.
Il faut dire que l’UDC (Union démocratique du centre), parti nationaliste suisse, avait mis les bouchées doubles. Les chères statistiques (dont on connaît tout le mal que nous en pensons ici) circulent et font tilt. Haro sur une Suisse « bétonnée, surpeuplée » clame le leader populiste Christophe Blocher. 80 000 étrangers de plus, c’est 34 500 logements de plus, 42 000 voitures de tourisme supplémentaires, « 194 millions de personnes kilomètres » sur le réseau ferroviaire. Moins de vaches dans les champs et moins de place pour pique-niquer au bord des lacs, grince Ian Hamel (1).
A Bruxelles, on s’est fâché haut et fort. Et on compte sur le patronat suisse – et les autres partis qui se réveillent péniblement – pour détricoter le contenu de ce référendum. Même l’UDC reconnaît qu’il faudra beaucoup de temps pour limiter les autorisations, embaucher les fonctionnaires nécessaires pour le contrôle dans un pays où la dépense publique est honnie. Donc, beaucoup de bruit pour pas grand chose ou juste pour lire ce qu’ont dans la tête une (courte) majorité de Suisses.
Sur les 156 textes signés par la Suisse avec l’Europe depuis 1956, le référendum en touche sept. Et si les barrières venaient à tenir, il faudrait mettre en balance les 100 milliards d’euros que les Européens dépensent pour acheter des produits suisses. Le calcul est vite fait.
Gernelle a sans doute raison : « Les fossés finissent toujours par se combler, les palissades par pourrir et les somnambules par se réveiller ». Reprenez un peu de Toblerone, les Suisses !
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(1) Le Point, 13 février 2014, p. 6 et 56.