Olivier De Schutter à la Sorbonne : pour un droit de l’alimentation


Olivier De Schutter, juriste belge, rapporteur spécial du droit de l’alimentation à l’ONU a été accueilli à la Sorbonne, le 17 février 2014 (amphi Richelieu) avec François Collart-Dutilleul (professeur de droit à l’université de Nantes) par Emmanuel Decaux (Paris-II) et Gilles Fumey (Paris IV) devant une assemblée très nombreuse et venue de loin. Son combat pour une justice alimentaire a été, pendant les six années de son mandat, sans faille ni faiblesse. François Meekel en fait un compte-rendu ici. Il pourrait bien avoir déclenché un point de non-retour laissant pensé qu’on peut espérer ne plus voir de personnes exposées à la famine dans un délai raisonnable.

Olivier De Schutter a exposé les raisons pour lesquelles il faut s’engager à changer de modèle agricole et alimentaire. Faute d’avoir enregistré la conférence, nous vous donnons un extrait d’interview, paru ici :

Le droit à l’alimentation est inscrit dans le droit international, quelles obligations confère-t-il à la communauté internationale?

O.D.S.: Le droit à l’alimentation progresse rapidement. Il exige essentiellement que les gouvernements rendent des comptes à leur population. Au fond, c’est l’idée que les politiques qui vont influencer l’accès à l’alimentation soient des politiques définies de manière participative, dans la transparence, en associant à leur définition les organisations de producteurs et les ONG, plutôt que des politiques définies de manière purement technocratique par quelques élites. Dans les conférences internationales, les gouvernements reconnaissent que la question de la gouvernance des institutions et celle de la reddition des comptes sont des aspects tout à fait centraux des politiques agroalimentaires.

Certains pays sont-ils novateurs dans ce domaine?

O.D.S.: Le Brésil est peut-être le pays le plus remarquable par les progrès réalisés. Quand Lula a accédé à la présidence du Brésil en 2003, il a lancé le programme «Faim Zéro» que Dilma Rousseff, qui lui a succédé, poursuit aujourd’hui. Ce programme a été extraordinairement important. Il a notamment réduit de façon considérable la mortalité infantile, grâce à des politiques participatives, à travers lesquelles les citoyens étaient amenés à collaborer à la définition de mesures qui combinaient politiques agricoles et politiques sociales. Autre exemple, en Inde, la Cour suprême indienne a aussi joué un rôle majeur depuis une dizaine d’années pour garantir le droit à l’alimentation.

Comment faire pour que les pays dits «moins avancés» puissent protéger leurs marchés?

O.D.S.: Il conviendrait de faire une place importante au débat sur la constitution de réserves alimentaires pour réduire la volatilité des prix sur les marchés agricoles. Les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) interdisent l’introduction de distorsions des prix par des stocks alimentaires gérés par l’État. Autrement dit, les États ne peuvent pas acheter en période de prix bas, pour soutenir les revenus des producteurs, et écouler des stocks en période de prix haut pour soutenir l’accès à la nourriture des consommateurs pauvres et réduire la spirale inflationniste des prix. Les pays «les moins avancés» ont déjà exprimé le souhait de pouvoir recourir à cet instrument de régulation des prix par les stocks, mais les règles de l’OMC n’y sont pas favorables.

Protéger ses marchés contre la concurrence extérieure, n’est-ce pas aussi défendre une agriculture de proximité?

O.D.S. : Absolument, l’enjeu est là : dans la possibilité pour ces pays de soutenir leurs petits producteurs et par là de contribuer au développement rural et à la réduction de la pauvreté rurale, même si les règles du commerce ne sont pas le seul paramètre à prendre en compte. L’augmentation de la dette extérieure des pays pauvres les oblige notamment à produire pour l’exportation parce que c’est uniquement en produisant du cacao, du café, du coton, du tabac… qu’ils peuvent avoir accès à des devises étrangères afin de rembourser leurs dettes. Ce n’est pas en produisant du manioc ou du sorgho qu’ils peuvent le faire!

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Compte-rendu de la conférence de la Sorbonne ici

 


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