Les âneries (géo) du Professeur Axel Kahn

La Brenne traversée par l'illustre Axel Kahn

La charité bien ordonnée devrait nous commander de nous taire. Mais quand un brillant généticien se lance dans la géographie et raconte des âneries, doit-on faire l’autruche ? Des géographes avaient cousu leur bouche lorsque le neurobiologiste Jean-Didier Vincent avait publié une biographie d’Elisée Reclus, sans en penser moins… Qu’est-ce qui décide un chercheur à s’égarer dans le pré du voisin ? A quand  la Géographie de l’Europe par Cédric Villani et l’Océanographie de Philippe Descola, le Traité de nutrigénomique d’Yves Lacoste et le Dictionnaire de mécanique ondulatoire dirigé par Roger Brunet ?

D’ici là, cet Entre deux mers (Stock) d’Axel Kahn n’aurait pu rester qu’un Voyage au bout de soi comme le suggère le sous-titre. On ne comprend pas bien qu’arrivé à la retraite, notre généticien s’ennuie au point de s’inventer des pèlerinages. Pourquoi un généticien ne pourrait pas continuer à faire de la génétique pour les retraités, pour les nuls, pour les marcheurs, pour les écrivains du dimanche et de la semaine ? On s’inquiète. Le papy boom risque d’envoyer les seniors sur les drailles où ils remplaceront avantageusement les moutons en parcourant les plateaux calcaires à la recherche de la France des Trente glorieuses.

Notre bouillant Axel zigzague entre Bretagne et pays niçois, comme Montaigne « allant de-ci de-là », achevant le tracé d’une croix sur la France puisqu’il avait déjà relié Ardennes et Pays basque il y a deux ans. Où se trouve la croisée de ces deux routes qu’on y dresse prestemment une stèle ?

Risquant entorses et tendinite, le gyrovague le plus célèbre de France disserte sur des régions qu’il a trouvées « plus rurales » et « désertiques » et qui lui donnent l’occasion de divaguer sur l’avenir de cette France d’en-bas ainsi que l’a joliment désignée le prince du chabichou, Raffarin. Profitant de la délicatesse éditoriale d’un hebdomadaire anciennement dirigé par son illustre frère Jean-François, Axel étale donc dans Marianne, toute sa science géographique dont on espère qu’elle ne contaminera pas l’Université. Par chance, les étudiants lisent peu et les collègues ont peu de temps entre les colloques et l’écriture des ANR.

 

Petit florilège pour concourir au BAG (Bonnet d’âne géographique) 2015
(prévoir un prix au prochain Festival de géographie consacré aux Utopies et Imaginaires)

 

Bretagne

« Douarnenez, chronologiquement la deuxième ville rouge de France, connaît son époque de gloire à la fin du XIXe siècle. Des bancs importants de sardines entrent alors dans la baie, sont piégés par les courants et deviennent de ce fait une proie facile pour les pêcheurs nombreux. Toute l’activité économique est à cette époque articulée à cette ressource : construction navale et, surtout, conserverie avec jusqu’à 32 établissements dont seuls trois ont survécu jusqu’à nos jours. La surpêche tue progressivement la poule aux oeufs d’or. […] Au total, Douarnenez a souffert et souffre, mais est bien vivante. […] Malgré la rudesse des mutations économiques liées au déclin considérable de la pêche, la cité de Cornouaille m’apparaît en définitive avoir bien du ressort. »

 Vendée

« Les travailleurs ont [ici] la réputation d’être durs à la tâche et… dociles envers la hiérarchie, si bien que, un peu comme dans la Haute-Loire (…) ils sont prisés par les employeurs. Thalès a, par exemple, installé depuis la période de la guerre une unité importante à Cholet, transformant les ouvrières du textile en câbleuses. […] Le dynamise économique serait bien difficile à expliquer sans faire appel au paramètre de l’élan donné par le sentiment identitaire. Les Mauges comme les autres régions de l’Ouest sont dépourvues de ressources naturelles autres qu’humaines, elles n’ont pas été épargnées par les crises et les effondrements successifs de secteurs d’activité dans lesquels elles s’étaient investies. »

La Brenne

« Les sols [de la Brenne, en photo ci-dessus] inondés en hiver et desséchés en été, sont ici peu généreux. Leur culture se justifiait jadis lorsque la production des cultivateurs avait une fonction vivrière et non commerciale, elle a perdu tout intérêt lorsqu’il s’est agi de tirer un profit marchand de ce que la terre voulait bien permettre de récolter. De plus, un phénomène intercurrent est intervenu, la vente massive de surfaces agricoles à des gens étrangers au monde rural, mais désireux de développer des chasses privées (…) On assiste à une véritable « solognisation » de la Brenne avec les mêmes nuisances que dans la Sologne véritable : clôture des espaces limitant de plus en plus la liberté de circuler, expulsion progressive des Brennous de leur terre natale (…). »

 Creuse

« Le marcheur a toute latitude pour jouir de ces perspectives [décrites précédemment], de leur harmonie et de leur paix, rien ne vient le distraire dans ses observations ou ses méditations, l’espace est, sorti des rares villes peu peuplées, essentiellement désert et silencieux, du moins en ce qui concerne les bruits liés à l’activité humaine, car les oiseaux peuvent, eux, s’en donner à cœur joie. »

Auvergne

Axel Kahn rencontre des opposants aux éoliennes : « Certains de leurs arguments sont connus de tous, car nullement spécifiques à la région. On questionne la logique économique d’une source d’énergie éminemment intermittente, doute que les approches de stockage hydraulique ou par batterie de cette énergie soient au point : on se déclare sceptique quant au caractère rapidement opérationnel de la connexion informatique entre tous les parcs de production pour basculer automatiquement sur ceux disposant du vent. Je ne dispose, quant à moi, pas des informations pour prendre parti dans ce débat ».

La vallée du Petit Buëch en amont de Rabou
La vallée du Petit Buëch en amont de Rabou

Baronnies

« Une mention particulière doit être faite aux éleveurs de brebis des Alpes du Sud qui vendent des agneaux « de Sisteron » à un cours à l’heure actuelle d’autant plus soutenu que la France ne fournit que 40% de sa consommation de viande ovine (…). Qui dit éleveurs dit aussi tondeurs. Celui avec qui j’ai dîné dans la maison d’hôte de Marie-Françoise et de Franck, gérant eux-mêmes un cheptel de 600 têtes, ne se contente pas de manier la tondeuse, il est aussi féru d’informatique, rédige une revue consacrée aux passionnés de la discipline, écrit pour le journal de l’association professionnelle des tondeurs, anime le bulletin de sa commune dont il est aussi un archiviste érudit. De quoi bouleverser quelques lieux communs !

Marie-Françoise, quant à elle, chef d’entreprise et bergère abonnée au journal Le Monde fourmille d’idées et d’initiatives, elle confectionne les liqueurs improbables au coquelicot, à la rose et autres produits naturels et s’est lancée il y a quelques années dans la culture de l’or végétal, le safran. (…)

Un autre indice du phénomène [de l’authenticité] dans les Baronnies et le Buëch est la vigueur de l’opposition des associations locales de chasseurs et de certains agriculteurs à la création d’un parc naturel régional. Cette hostilité est alimentée par la peur d’être dérangé dans ses habitudes, d’avoir à harmoniser des pratiques cynégétiques et la visite du parc par les amoureux de la nature. La région crève, on n’est plus qu’une poignée à y vivre, mais surtout, ne rien tenter, ne rien faire qui puisse perturber en quoi que ce soit les habitudes des survivants voués à une disparition prochaine ! Or, je n’ai jamais rencontré en France ni à l’étranger de cas o quelques années après leur création, les parcs naturels n’aient pas fait la quasi-unanimité en leur faveur tant ils dynamisent la région au profit de tous. La crispation sur une authenticité identitaire mortifère de territoires désertifiés me rappelle la situation des partis, associations et courants de pensée qui ont tendance à devenir de plus en plus intégristes et sectaires à mesure qu’ils tendent vers le groupuscule ».

 

Il faut envoyer Axel Kahn à l’Université InterAges pour y prendre des nouvelles sur ce qu’est devenue la géographie actuelle et apprendre à lire les territoires.

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Axel Kahn avait déjà sévi dans l’édition géographique il y a deux ans…

Photo en Une de ce post : La Brenne, parcourue par notre illustre baroudeur.

 

 

 

 

 


9 réponses à “Les âneries (géo) du Professeur Axel Kahn”

  1. Amusant, merci de cette attention. Un marcheur de tous temps amoureux des territoires et des gens qui les habitent devrait surtout se garder, selon ce délicat billet, de rapporter ses impressions et les informations tirées de ses entretiens avec des centaines de personnes dès lors que ces considérations empièteraient avec une autre spécialité que la sienne….Par conséquent, pas d’histoire, pas d’économie, pas de géologie, pas de botanique, pas de présentation des régions traversées. Seul un soliloque introspectif et, le cas échéant, des réminiscences de sa spécialité scientifiques devraient alimenter un ouvrage suscité par un voyage amoureux à travers la France. Singulier. Il me suffira cependant de recueillir l’avis des habitants des territoires abordé – cela a été le cas pour Pensées en chemin » et commence de l’être pour le nouvel ouvrage – pour déterminer si j’ai été fidèle à ce que plusieurs d’entre eux m’ont indiqué et à ce qu’ils vivent. Merci en tout cas pour votre intérêt.

    • La question n’est pas de juger le contenu des rencontres (très médiatisées) que vous faites avec la France rurale que, manifestement, vous ne connaissez pas et regardez comme un béotien venu des villes (l’épisode sur « Le Monde » qui peut être lu jusque dans un bled reculé des Alpes du Sud). Le problème est que vous faites de la géographie alors que vous ignorez tout ce qui se fait sur la compréhension des territoires par les géographes depuis des décennies. S’il suffit de traverser la Bretagne à pied pour la comprendre, alors, les « scientifiques » excuseront ceux qui ont un avis sur les OGM sans savoir ce qu’est la génétique et ne balanceront pas leur mépris à ceux qu’ils prennent pour des ignorants.
      Les généticiens peuvent parcourir la planète, faire de la fiction, de la poésie, des photos mais, par pitié, qu’ils gardent pour eux leurs considérations sur le développement économique, la compréhension des sociétés. Ou alors Lévi-Strauss n’était pas légitime chez les Nambikwara et Descola pas moins chez les Achuar. A quoi bon serait-ce d’avoir les meilleurs ethnologues au monde pour raconter des âneries sur la chasse en Amazonie ou la manière de boucaner le gibier ?
      Tous les voyages sont « amoureux » comme vous le dites. La question est de savoir s’il suffit d’aimer ou d’être sincère pour être solide et sérieux. Que l’on respecte ceux qui habitent la Vendée ou la Brenne est une chose. Mais se confier à eux pour savoir quelle orientation de développement local il convient d’appliquer, c’est déjà plus problématique. On voit ce que cela a donné en Bretagne…
      Maintenant, vous ne percevez sans doute pas ce qui fait l’originalité de la Vendée que vous décrivez sans expliquer, ni celle de la Brenne, du Limousin, de la Drôme… Ce serait utile de lire des ouvrages de géographie pour aller au-delà des lieux communs dont certains remontent… à Montesquieu !

      • Ancien président d’université, j’ai de l’affection, en fait, pour la passion que mettent les universitaires à défendre l’intégrité de leur discipline contre les empiètement, vécus parfois comme des invasions, par des disciplines différentes et votre sainte colère m’amuse, je vous la laisse, elle vous appartient sans conteste. Je continuerai d’être ce que je suis, un marcheur depuis l’enfance, un amoureux de la ruralité dans laquelle il a grandi, un honorable spécialiste de l’agriculture qui a travaillé dix ans au ministère dédié, un amoureux des territoires et de son pays qui rend compte avec sincérité de ce qu’il a perçu et entendu chemin faisant. Je n’écris pas des manuels de géographie mais des pensées d’un chemineau vagabond qui a arpenté son pays depuis si longtemps. Vous avez bien le droit de ne pas aimer, et même de vous montrer d’une agressivité que j’ai aussi le droit de considérer singulière.

      • Pas d’agressivité, de l’ironie… J’imagine ce que pourraient écrire d’autres médias moins complaisants. Amusez-vous bien en chemin et faites-nous rire, voilà la paix conclue.

      • Bonjour,
        je suis Marie-Françoise, je suis abonnée au Monde, je garde mes brebis, je cultive du safran, mon mari est un responsable syndical national, j’ai ouvert une chambre d’hôtes où M. Kahn a bien voulu s’arrêter et où je lui ai prêté mes exemplaires du Monde. Non, notre rencontre n’était pas médiatisée, nous étions seulement 7 autour de la table, dont notre ami tondeur (de brebis, j’espère que vous l’aviez compris) et webmaster et rédacteur de plusieurs revues. C’est ça la vraie vie dans « un bled reculé des Alpes du Sud ». Voulez-vous venir y assouvir votre passion de la géographie?

      • Venant d’un bled (qui n’est pas reculé) du Haut-Doubs où on lisait (et lit encore) Le Monde dans ma famille, je n’ignore rien de ce qui a pu se passer entre le sage Monsieur Kahn et vous qui l’avez accueilli chaleureusement, je n’en doute pas. Cela étant, je conteste à M. Kahn ses conclusions sur le développement territorial, son analyse de la France rurale sur laquelle il plaque des idées qui sont, je persiste, des âneries.
        Les Alpes du Sud sont une région magnifique, revivifiée sans doute par des néo-ruraux (mais pas forcément) et méritent mieux que les pages bâclées d’un biologiste, fût-il terriblement sympathique et brillant généticien.

  2. Par curiosité, & aussi parce que vos chroniques sont assez rares, je reviens sur cette page consacrée aux aventures pédestres d’un brillant généticien à la retraite.
    D’abord, votre théorie du pré carré: à chacun son domaine, et les vaches seront bien gardées, m’étonne. M.Kahn a eu le tort d’utiliser l’adjectif « géographique » dans le titre de son bouquin( crime de lèse-majesté apparemment) , mais il ne fait absolument pas oeuvre de géographe et n’en a pas la prétention, il livre ses impressions, simplement, à la manière d’un journal de voyage qui fait penser aux récits des pèlerins pour St Jacques, sans plus

    Donc un manque d’humour, la Géographie n’appartient pas qu’aux seuls thésards de géographie ou titulaires d’une chaire, je me suis déjà fait bananer par l’un de vous deux , moi qui fus professeur d’histoire géographie pendant un quart de siècle, à propos de la Promenade des Anglais à Nice. Mon analyse était tristement prémonitoire, bien avant la tragédie du 14 juillet 2016.
    Je suis une des rares, sinon la seule, à avoir contribué à la rubrique commentaires au fil des mois. C’est à ça qu’on évalue le dynamisme d’un blog, et pas seulement à l’aune des publications des auteurs du blog, très pertinentes évidemment puisque nourries par le travail des chercheurs patentés. Il faudrait un label, mieux qu’une AOC, une certification pour autoriser le quidam à se livrer à une description géographique. Ca sent les chapelles ( Roger Brunet, Yves Lacoste au secours), la papauté et les excommunications en tout genre, comme dans la psychanalyse! C’est un peu ce à quoi vous vous êtes livrés avec ce mandarin de la génétique qui n’en demandait pas tant. Et rassurez-vous, je n’achèterai jamais ce livre et ne le lirai pas. Pourquoi avez-vous donc eu si peur de M.Kahn qui n’intéresse pas grand monde, voilà ce qui m’étonne!

    • Chère Madame, je ne peux pas répondre pour Gilles Fumey, qui n’intervient plus guère sur ce site pour le moment, mais je puis vous dire que Geographica n’a pas été fondé pour les seuls spécialistes de géographie, c’est tout le contraire; le site a été conçu pour proposer une lecture géographique de l’actualité à toutes les personnes intéressées, et je vous suis personnellement gré de vos commentaires.
      J’alimente seul à présent le site, ce que je regrette, d’où aussi les délais plus longs qu’auparavant entre les articles, mais j’espère que le contenu reste intéressant.
      Nous participons aussi à Géographies en Mouvement, blog hébergé par Libération. Je vous engage enfin à visiter le site de la Société de Géographie, remis au goût du jour par un jeune collègue.
      Ce qui est le plus inquiétant, ce sont des intellectuels d’assez haut vol qui n’ont vraiment aucune culture géographique. Il est encore de bon ton d’affirmer qu’on est « nul en géographie » en sous-entendant que c’est une discipline qui n’a aucun intérêt. Alors qu’on nous rebat les oreilles avec la mondialisations et que tout le monde voyage dès qu’il le peut, c’est une attitude qui peut surprendre, ne trouvez-vous pas?
      Donc Geographica est là pour ouvrir les esprits. En tout cas c’est l’un de nos buts, peut être immodestes.

      Encore merci de contribuer à ce site, et n’hésitez pas à critiquer, nous ne sommes pas dans la pensée unique!

      • La messe est dite, Axel KHAN a rejoint d’autres rivages et n’empiètera plus sur certaines plates-bandes. Le dogmatisme dont faisait preuve Gilles FUMEY à son encontre n’a plus lieu d’être.. La géographie si méconnue, n’est pas enseignée par des gens formés en histoire en Allemagne, ni en Autriche. De là vient peut-être le fossé qui sépare les Français de la géographie? Vidal-de-la-Blache ou Marc Bloch? Je refuse de choisir. Ce que nous livre Sylvain TESSON, géographe de formation lui, de retour du lac BaÏkal ou dans ses » Chemins noirs » ne me semble pas si éloigné des chemins d’Axel KHAN qui vient de disparaître.

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