Psychogéographie ? Oui, l’étude des effets de l’environnement géographique sur les émotions et le comportement des individus, comme l’écrivait Guy Debord. Alors, gorgés de soleil et de vin rosé, saturés de tomates basilic et chabichou, vous voici vacanciers sous l’effet d’un shit de vitamine D que vous synthétisez dans le décor grandiose du Mercantour prompts à penser que c’est ici qu’il faut vivre. Fuir les villes et leur saleté, le bruit et la fureur, vivre au rythme des troupeaux qui paissent gentiment sur l’alpage et des vieux qui pétanquent sous les platanes.
Dans l’équation de Debord, il manque l’état psychique de l’individu face à cet environnement tant désiré. Souvent épuisé, en état semi-comateux pendant quelques jours, le vacancier réalise qu’il a choisi un paysage « grandiose, sauvage et coloré » comme l’écrivait Pierre Gentelle, ou une ville comme Londres, Berlin ou Barcelone pour une exploration urbaine que d’autres ont fait avant lui, ou encore une destination comme la Grèce, l’Andalousie ou l’île de Ré par snobisme ou facilité, tout cela parce que les pubards et l’Unesco lui ont seriné que c’était là qu’il fallait aller et pas ailleurs.
L’excellent critique Yann Perreau a lu (1) la rubrique Psychogeography que tenait Will Self dans The Independant jusqu’en 2008. Pour y traquer en quoi les déambulations dans les interzones et les bas-fonds louches de Londres méritaient ces récits bizarroïdes. Ces pérégrinations nous mettent sur le chemin de Los Angeles où Self parcourt la ville californienne… à pied, en compagnie d’un nain, Sherman Oaks. Une manière de lutter contre l’Alzheimer précoce. Perreau cite Self qui conclut : « Toutes les œuvres de fiction représentent des territoires à travers lesquels voyagent des personnages et que l’écrivain cartographie en s’aidant d’une boussole -morale ou autre- et de ressemblances familiales, de repères et de traits géographiques. Ce n’est qu’à la fin du voyage, au moment de gravir la dernière colline qu’il se retourne pour contempler le territoire dans son ensemble ; alors seulement, il comprend la nature de l’itinéraire qu’il a suivi ».
Un peu comme vous, vacanciers, repasserez vos photos sur le téléphone dans le train du retour ou vous vous aspergerez d’eau de toilette musquée, ou parfumerez vos plats de condiments lointains. Histoire de retrouver ces émotions fugaces d’un environnement géographique qui vous a déjà filé dans les doigts.
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(1) London psycho(géographes), Les Inrockuptibles, 15 juillet 2015.
Photo ci-dessus : Touristes chinois ayant vu une série télévisée mettant en scène la lavande provençale pratiquant une orgie de photographie-à-la-lavande au chevet de l’abbaye de Sénanque (Vaucluse, XIe siècle) dont ils ne prennent souvent pas le temps de visiter l’église.