La France bleu Marine


(Carte donnant le résultat des régionales 2010 et 2015, premiers tours)

Vieux pays terrien, la France s’est levée ce 7 décembre bleu Marine. Force de l’évidence dans les cartes alternant rose et bleu qui ont circulé sur les réseaux sociaux. Et le chœur des pleureuses s’est remis en route, oubliant le choc qu’avait été 2002. Nul ne sait si un parti qui n’a jamais franchi le 2e tour peut sauter la barrière. Mais il est sûr qu’à peindre cette France en bleu très foncé pour dépeindre ce qui se passe dans la tête d’un quart des électeurs est, sans doute, une illusion d’optique.

Nous ne sous-estimons pas que la tempête peut souffler fort le 13 décembre, funestes 13 de 2015. Nul doute que les malaises devant ce que beaucoup de Français prennent pour un déni d’intégration avec les vêtements, les nourritures, certains comportements trouvent là, dans le secret de l’isoloir un beau défouloir. Pas vu, pas pris ! D’autant plus facile à stigmatiser qu’il a pour racine une religion revendiquée, un passé colonial mal assumé, une géographie bien visible.

Maintenant, ces couleurs qu’on brandit, du brun au bleu marine, sont-elles à même de donner à lire toute la complexité d’un vote destiné à élire des assemblées locales ? Qui peut faire la part de la colère, du dépit, du désarroi, de l’effroi, du raz-le-bol, du coup de pied aux fesses, de la haine parfois, de l’ignorance du lendemain, de la bêtise et bien d’autres causes dans ces millions de bulletins que le bleu rassemblerait ?

Allons donc ! La France est trop fière, trop compliquée pour se résumer à un simple coup de peinture un soir de biture électorale. Laissons les géographes représenter toute cette complexité. Et ne leur prenons pas leur joujou pour se faire peur (ou plaisir) à voir l’humeur d’un jour devenir l’écume des jours annoncés comme l’apocalypse.

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Pour en savoir plus : Quelle doit être la couleur du FN sur les cartes régionales ?

Et dans l’excellente revue de Books, Qu’est-ce que voter avec ses tripes ?

Le sentiment d’abandon, le sentiment d’insécurité sont autant d’explications qui reviennent dans les analyses des résultats du premier tour des élections des régionales. Le sentiment et l’émotion ont en effet toute leur place dans l’isoloir. L’électeur est un citoyen émotionnel, souligne Philippe Braud, auteur du Petit Traité des émotions, sentiments et passions politiques.
Les sentiments peuvent former les éléments d’un choix éclairé : l’espoir d’une amélioration, le plaisir de s’identifier à un personnage charismatique ou à des valeurs relèvent potentiellement d’un argumentaire positif. A l’opposé, la peur du chômage ou du nucléaire, par exemple, l’humiliation de se sentir peu considéré, forment parfois les éléments d’une rationalité négative. Quelle que soit leur nature, ces émotions participent d’une « logique » de choix. Une logique clairement intégrée par les candidats. Des travaux portant sur le langage des politiciens en campagne ont mis en évidence des liens très étroits entre les raisonnements fondés sur des faits et les appels émotionnels, notamment sur les thèmes de  l’indignation, de la solidarité nationale, de l’insécurité physique ou économique.
Le problème n’est pas selon Philippe Braud l’utilisation du sentiment comme critère de choix, mais le dérèglement des émotions, et surtout l’agrégation de celles-ci au sein du suffrage universel. Si les affects peuvent dicter des stratégies parfaitement logiques sur le plan individuel, ils démontrent souvent leur irrationalité dans le cadre d’un scrutin censé indiquer aux gouvernants le sens de leur action.
En savoir plus : « Les citoyens votent surtout par empathie ou antipathie », Books, avril 2012.

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