L’égalité des territoires, une ânerie ?


Le coup de sang du géographe Philippe Estèbe sur Rue 89 contre le plan numérique de François Hollande fait du bien ! Stop à la France uniforme… Et gare à cette « folie économique » de 20 milliards d’euros qui nous menace.

Couvrir tout le territoire en très haut débit en dix ans : tel est l’objectif affiché par François Hollande venu début août 2013 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), venu dévoiler son « ambition numérique ».

Est-ce un choix pertinent ? Le géographePhilippe Estèbe en doute. Pour lui, les pouvoirs publics ont encore cédé « au lobby des élus ruraux, pour qui l’espace compte plus que les gens ». Entretien.

Rue89 : « Couvrir tout le territoire », est-ce un objectif intelligent ?

Philippe Estèbe : La question est de savoir si le très haut débit est désormais comme l’eau ou l’électricité : un élément indispensable au fait de bien vivre dans les territoires. On nous explique que c’est nécessaire pour la télémédecine, et qu’il est indispensable de compenser la faible diversité de services sur place par l’accessibilité de services à distance. Pour le suivi médical à distance, je ne suis pas certain que la question du très haut débit soit décisive. On peut faire beaucoup de choses avec l’ADSL.

En plus, cette affaire coûte très cher. C’est une folie économique. Je vis dans un village de 200 habitants et ici, tout le monde se fiche du très haut débit.

Le gouvernement agit au nom de « l’égalité des territoires »…

Il y a aujourd’hui une folie autour de cette idée d’égalité des territoires – on entend égalité d’équipement des territoires – alors qu’en réalité on assiste à des transferts financiers massifs de l’urbain vers le rural. Le niveau de dépenses de fonctionnement par habitant est bien supérieur dans les communes rurales. En Lozère, vous avez un prof pour dix élèves. En Seine-Saint-Denis, un pour trente. Vous avez une surreprésentation de services publics dans les « déserts ». Je ne suis pas certain que cette « égalité des territoires » soit totalement souhaitable ou stratégique.

Pourquoi ?

L’uniformisation des territoires est un drôle d’idéal. Il me semble qu’on peut accepter d’avoir plusieurs modèles de développement dans un pays comme la France : des territoires qui vivent à des vitesses différentes, des lieux qui fonctionnent sur des logiques de niche…

Pour moi, cette histoire de fibre optique est d’un archaïsme total. Elle est liée à l’incroyable présence des élus ruraux dans le débat politique français. L’égalité des territoires, c’est d’abord la voix du monde rural qui s’exprime sur un mode victimaire. Il va peut-être falloir arrêter un jour de céder au lobby des élus ruraux, pour qui l’espace compte plus que les gens.

Que faites-vous de la dimension symbolique de certains services publics ? Quand un bureau de poste ferme, le village concerné y voit un signe de sa disparition…

Sur La Poste, d’abord, une mise au point : la loi fixe le nombre de points de contact à 17 000, il n’y a plus de nouveaux bureaux qui ferment.

Ensuite, si les bureaux de poste, les maternités, les gares, les écoles ferment, ce n’est pas parce que c’est un complot de l’Etat contre les territoires ruraux ; c’est essentiellement parce que les pratiques des populations ont changé.

Aujourd’hui, les gens vivant à la campagne ont accès, grâce à la mobilité, aux services de la ville moyenne du coin. On peut le regretter et rester attaché à la vision idyllique du village compact organisé autour de la mairie et de l’église. Mais la vision isolationniste de cette polyvalence de proximité n’est pas juste par rapport à la réalité de la vie des habitants de ces territoires. Les communes ne sont pas de petits Etats entourés de frontières infranchissables.

Chaque fois qu’une gare ferme, c’est l’hystérie, c’est la République qu’on abandonne. Mais on peut aussi se soigner, on n’est pas obligé de vivre dans un mythe permanent. Si on passe de l’échelle du village à l’échelle du canton, on trouve quand même un maximum de services : un bureau de poste, un collège, des médecins…

L’égalité des chances restant un objectif politique, le désir de voir un maximum de services dans chaque commune n’est-il pas légitime ?

Ne m’en parlez pas. Tous les élus disent « il faut garder les jeunes ». C’est ça, l’égalité des chances ? Mais c’est la pire des choses ! Au contraire, aidez-les à partir. Quitte à ce qu’ils reviennent plus tard… C’est comme ces facs qui ouvrent des antennes en milieu rural : ça ne fait pas des facs, ça fait des espèces de lycées où les élèves marinent dans leur jus, ce ne sont pas des lieux d’émancipation.

Les élus ont une vision patrimoniale de leur territoire, et c’est au nom de ça qu’ils passent leur temps à piailler chez le sous-préfet, chez le député et au sein de l’Association des maires de France. Ils font preuve d’un égoïsme absolu.

Ils ne sont pas les seuls coupables : toute notre structure institutionnelle est organisée de telle sorte que chacun passe son temps à réclamer des fromages. Les conseils généraux font des contrats avec les communes, les intercommunalités, les pays… Les relations entre collectivités tournent essentiellement autour des flux de subventions.

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