Quelle place accorder aux morts?


En ces temps de changement d’horaire qui font arriver la nuit plus vite, et alors que la lumière s’enfuit, arrive la Toussaint avec ses chrysanthèmes et ses visites, éventuelles, aux cimetières.

Le Jack o’Lantern traditionnel, taillé dans un rutabaga

Mais quelle place accorde-t-on aux morts, les nôtres et ceux des autres? Pas beaucoup, ni dans nos esprits, ni dans les espaces qui leur sont consacrés. Halloween a bien envahi les cafés et boutiques, mais son sens s’est perdu dans les fausses toiles d’araignée et les citrouilles évidées à  l’air pas vraiment effrayant. L’antique fête celtique christianisée a aussi été américanisée, puisque la citrouille « Jack ‘o Lantern » était en Irlande un rutabaga ou un navet évidé. La nuit de Samain coïncidait à l’entrée dans le domaine des dieux, et le monde des humains entrait alors provisoirement en contact avec un certain au-delà. La disparition de la lumière correspond donc à l’entrée dans une certaine forme d’intériorité.

L’anthropologue Jean-Didier Urbain a naguère consacré plusieurs études aux morts dans la culture occidentale (L’Archipel des Morts), et la géographie a elle aussi apporté sa contribution. Mais le sujet ne fait pas trop recette. Finalement, la mort nous dérange. Elle nous dérange depuis la fin du XVIIIe siècle, moment où les morts, de proches et familiers, deviennent indésirables et terrifiants: on les expulse donc du centre des villes et villages vers des périphéries de plus en plus lointaines et délaissées. En île de France, on voit bien que les cimetières sont coincés entre les voies ferrées, les supermarchés et les déchetteries. Cela en dit long sur l’importance que l’on accorde à nos défunts…

Quant au décor, les pompes funèbres générales ont versé dans le kitsch le plus outrancier depuis bien longtemps déjà: plaques standardisées, formules types, pierres tombales en granit poli pour la durabilité, sans oublier les petits cailloux… Les cimetières français sont très laids, il faut bien le reconnaître. Si l’on voyage un peu, on peut vite se rendre compte de cela.

Car en voyage, pour comprendre un pays, rien de tel que de se rendre dans deux endroits essentiels: les marchés et les cimetières. Cela permet de comprendre le rapport à la vie et à la mort d’une population donnée. Une profonde étude de géographie, soumise à l’épreuve des faits.

Mais pourquoi les cimetières français sont-ils si laids? Peut être parce que notre pays, si rationnel, prend peur face à l’irrévocable, et tente de ne pas y penser?

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