Notre obsession à vouloir nous comparer aux autres régions du monde comme l’enfant regarde dans l’assiette de son voisin pour vérifier qu’il n’est pas lésé et qu’on l’aime bien a quelque chose de pathétique. Dans les médias, ce ne sont que classements, chiffrages, évaluations aussi absurdes les unes que les autres.
Prenons l’Asie qui a déboulé dans nos vies matérielles depuis 50 ans. On vous a appris que le Japon était l’eldorado de l’électronique. Un statisticien vous dira que le commerce extérieur japonais de matériels à puce est déficitaire. La Chine, atelier du monde ? Non, la hausse des salaires a fait migrer les usines au Vietnam et au Bengladesh. Le Vietnam baisse les impôts pour attirer les usines. Et l’Asie prend du poids non seulement démographique, mais économique si on s’en tient à la production à parité de pouvoir d’achat (un tiers aujourd’hui pour un quart en l’an 2000). Les statisticiens vous diront que l’Asie pèse deux fois les Etats-Unis, mais qu’est-ce que l’Asie ? La comparaison Asie-Etats Unis est-elle pertinente ?
Et revoilà qu’on parle de spécialisation comme au temps du Comecon… Thaïlande : automobile. Vietnam : électronique de masse. Corée du Sud : électronique de pointe. Cambodge et Bengla Desh : textile. Philippines : centres d’appel et main d’oeuvre exportée. « La Chine, elle, fait encore de tout mais veut monter en gamme, dans l’éducation, la recherche, la finance. » (*)
Décidément, la géographie n’est pas encore entrée dans les mœurs journalistiques. Certes, on analyse bien le rôle que les institutions ont eu dans la mutation actuelle. Le Japon a examiné ce qui s’est passé en Europe avant de se rendre compte que les divisions en Asie sont profondes et que les belligérants de la Deuxième Guerre mondiale ne se sont pas réconciliés, à l’instar de la France et de l’Allemagne. La métaphore du « bol de nouilles » comme celle du « salad bowl » qui traîne encore dans les manuels scolaires à propos des États-Unis est-elle sérieuse ?
L’Asie de l’Est a sa culture, très différente d’un grand pays à l’autre (Inde et Chine, notamment), les crises ne manqueront pas d’y survenir, y compris du fait d’une incompréhension des mécanismes naturels (tsunamis, pollutions industrielles, etc.). Elle peut fanfaronner dans les classements comme celui qu’elle s’est inventée à Shanghaï, cela ne lui donnera pas plus de forces que celles que déploient l’Europe et les États-Unis en ce moment. Car la culture numérique qui balaie tout sur son passage, de l’édition à la presse, du commerce à l’éducation est un modèle hyperlibéral qui a son ancrage sur la côte Ouest des Etats-Unis. Pour quelques années encore.
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* Source : Les Echos, L’Asie, une Europe qui marche, 24 décembre 2013.