Le métro parisien par le bout du nez


Il vous arrive d’avoir le nez bouché ? Ca tombe bien. Une étude pour la RATP [1] a tracé une géographie des odeurs dans le métro parisien. On ne va pas tourner autour du pot : « soufre, oeufs pourris, chaussettes sales, pipi de chat, le tout enveloppé d’un parfum de muguet et de pamplemousse. » Voici donc le cocktail odorant décrit par Céline Ellena, nez et parfumeur de métier, pour les 750 000 voyageurs quotidiens des quais de la station Châtelet-Les Halles.
Ce podium de puanteur ne doit pas masquer une géographie plus subtile des odeurs qu’un nez averti peut repérer dans les trois cent stations parisiennes. Céline Ellena a noté à Havre-Caumartin de la « crotte de souris, du plastique chaud, notamment en fin de journée, à cause du freinage ». Voulez-vous vous dépayser ? A la station Cité qui n’était pas une carrière, cela fleure « le champignon. Moisissure agréable, car fleurie ». Ne vous fiez pas aux noms des stations : Abbesses devrait vous rappeler l’encens et l’encaustique des couvents, eh bien non, c’est « odeurs acides d’urine mélangées à celles de désinfectant et de poussières grasses, peut-être du cambouis, des huiles utilisées pour les rouages ». Et Bonne Nouvelle ? Mairie des Lilas ?

A vos nez !

Vous avez gardé une géographie duale de la capitale, riches à l’ouest, petit peuple à l’est ? Vérifiez Champs Elysées-Clémenceau : les effluves ne rappellent pas celles des usines de Pantin mais « Chanel N°5 [parce que] les parkings attenant sont désodorisés avec un mauvais parfum du type Chanel ou Rive Gauche (sic) d’Yves Saint Laurent ». La station serait-elle fréquentée par du beau monde ? Que nenni. Hélas, les petites mains et les grands talents de Dior, avenue Montaigne, ceux qui pomponnent Rachida Dati et Céline Dion ne prennent pas le métro. Un petit creux à l’heure du déjeuner ? Prenez vos quartiers Porte de Clignancourt : vous y trouverez « l’odeur du poulet, à cause du Kentucky Fried Chicken en surface. Épices mélangées, graisses cuites et recuites ». Un goûter ? Voici le croissant chaud, servi gare du Nord.

Saleté de molécule d’hydrogène sulfuré !

Nostalgiques du métro de votre enfance, des années de lycée ou de fac, dépêchez-vous car à mesure que les vieilles rames sont remplacées par du matériel neuf (lignes 2 ou 4, RER A et B), les odeurs changent. Bientôt fini, cette madeleine odorante au retour de vacances gare de Lyon ! Il reste à souhaiter que les détergents et la colle des panneaux d’affichage ne se mettent pas au chèvrefeuille.
La qualité de l’air du Paris souterrain a fait l’objet d’une thèse par Emmanuelle Lorans. Pour elle, cinq sources varient les plaisirs olfactifs : les produits d’entretien, les installations fixes, les usagers, le sous-sol et la qualité du mobilier dans les trains. La mise en service de la ligne automatique 14 en 1998 a poussé à l’analyse de cette entêtante odeur d’ oeuf pourri entre Châtelet et Opéra : une poche d’hydrogène sulfuré (H2S) percée lors de l’enfouissement de la ligne sous la nappe phréatique.
Dans ce bain olfactif, un bon nez parvient à s’amuser des nuances entre les saisons, les horaires – éclectisme le matin, transpiration le soir -, tout cela pouvant accroître « le sentiment d’anxiété, de fatigue, de tristesse » selon Barbara Bonnefoy, chercheure en psychologie à Paris-Ouest-Nanterre. Certains sont inquiets à la RATP, sur la piètre image que cela donne de la RATP qui ne reste pas sans réagir. Selon le Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) , la régie dépense 65 millions d’euros par an pour lutter contre les mauvaises odeurs qui n’ont pourtant rien à voir avec la qualité de l’air.

Plaidoyer pour les odeurs

Dans le temps jadis, les rames des trains diffusaient par des pulvérisateurs des essences « naturelles » qu’on croyait bactéricides. En faisant appel à des nez depuis vingt ans, Anne Garrot, du département Environnement et sécurité de la RATP, prévient : l’aménagement de l’ambiance olfactive de la ligne 14 montre qu’il ne faut pas tout masquer. « Le parfumage possède des effets comme la difficulté à percevoir les départs d’incendies ou les gaz toxiques ».

On diffuse de la manière la plus homogène possible les parfums en nettoyant, tout simplement, avec du Mr Propre à la lavande, préféré à la javel. Ou en pulvérisant des huiles essentielles. Ou encore en piégeant du parfum dans des billes invisibles à l’ oeil nu éclatant sous les pas des voyageurs. Anne Garrot y tient : on ne peut pas totalement cacher l’odeur du fonctionnement du métro, car les usagers « attendent la présence de certaines puanteurs liées au matériel, qui font partie de l’identité du métro ».
Et si Paris vous déçoit, embarquez avec Pierre Gentelle qui avait écrit une géographie des odeurs entre Pékin et Paris. Bon voyage !

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[1] Source : Toutes les données sont puisées dans l’excellent article de Mélissa Bounoua, Megalopolis. Le journal du très grand Paris, 25 février 2010.
© L’Obs-Rue89

Voir aussi : Le métro parisien, un lieu public à l’abandon, Libération


6 réponses à “Le métro parisien par le bout du nez”

  1. Suggestion monétaro-parfumée !
    A budget RATPiste équivalent, le tapissage des quais métropolitains avec des billets de 50 € permettrait à coup sûr de résoudre se problème d’odeur, puisque chacun sait que l’argent n’en a point. D’un coup, je vous fiche mon billet que la fréquentation des transports en commun subirait une hausse conséquente, ce qui permettrait, harmonie oblige, de tapisser les rames avec des billets de 10.
    Un billet de train vaut bien un billet de banque.
    Bon premier Mai.

  2. quelle horreur ce réseau RATP. Tous les métro d’Europe sont plus propres que celui de Paris! Londres, Madrid , Berlin, Milan, Bruxelles, Amsterdam. Notre réseaux est dégueulasse, des odeurs de pissent à Opéra, la stations des grands magasins, qui remontent jusqu’à l’entrée, je pourrais citer 100 exemples, mais ca me déssepère de devoir encaisser ça au quotidien.
    Vivement que je me barre. Lyon me revoilà bientôt

    • Bonjour Fafa,
      Mise au parfum.
      Ayant appris très récemment que la France était « footballistiquement » parlant un pays de « merde », il existe peut-être une relation de cause à effet dans la pensée « underground ». Sans vouloir minimiser le dégoût que vous inspire vos séjours nauséabonds dans les souterrains de la capitale, dont tout un chacun pourrait attester de la réalité du propos, la comparaison que vous faite avec Berlin, Milan ou Madrid me semble cependant inadéquate lorsque l’on compare ses gruyères là avec la taupinière arisienne, compte tenu du nombre de voyageurs journaliers. Voici quelques chiffres qui pourraient surement expliquer la proportionnalité de l’odeur :
      Paris 5.23 millions de voyageurs par jour
      Milan 1.00 millions de voyageurs par jour
      Madrid 1.74 millions de voyageurs par jour
      Berlin 1.30 millions de voyageurs par jour
      Bruxelles 0.38 millions de voyageurs par jour
      Londres 3.37 millions de voyageurs par jour
      Séoul 6.84 millions de voyageurs par jour
      Moscou 6.58 millions de voyageurs par jour
      Pékin 6.74 millions de voyageurs par jour
      New York 4.52 millions de voyageurs par jour
      Tokyo 3.64 millions de voyageurs par jour
      Lyon 0.74 millions de voyageurs par jour

      Vous avez raison, on se « sent » effectivement sûrement meilleur à Lyon, Bruxelles reste cependant à ce niveau, une destination tout à fait convenable également.

  3. Bonjour,
    Je suis Céline Ellena, nez, parfumeur…quelques adjectifs pour tenter de décrire mon métier. En juin 2009 j’ai débuté l’écriture d’un blog, dans lequel je raconte des histoires en odeurs. Je regarde la vie, le quotidien avec mon nez…et en effet, comme de nombreux franciliens je prends le métro. J’ai écrit de nombreux post sur le sujet du métro. Une jeune journaliste à l’époque s’est penchée sur mon blog, elle souhaitait écrire un article sur « pourquoi le métro pue ». Dans un premier temps j’ai refusé, car je ne regarde pas avec mon nez d’une manière aussi critique, ni aussi négative Lisez mon blog « chroniques olfactives » et vous comprendrez. La journaliste a insisté, j’ai insisté de mon côté pour évoquer le métro comme une fenêtre sur notre petite humanité, avec ces bons et ses mauvais côté, bien sur, mais même les « mauvaises » odeurs du métro ne sont pas si épouvantables…la vie est parfois plus rude qu’une simple odeur ! :). Bref, je lui ai demandé de conserver de l’objectivité. Pour info, j’ai rédigé toute la matière à son article en répondant très précisément et largement à ces questions. Le résultat est là: la journaliste n’a conservé que les mots les plus négatifs, les isolants et les rassemblant, faisant par la même occasion disparaitre toute la pertinence de mes réponses à l’époque. Lorsque l’article est paru, j’ai été très déçue, et triste pour la journaliste, qui décidemment n’avait pas cherché à comprendre, mais simplement à réaliser un article tape à l’œil, racoleur, inédit, avec un vocabulaire qu’elle ne maitrisait pas : les mots des odeurs. Elle n’a pas été honnête en conservant uniquement son idée première: « le métro pue ». J’ai laissé coulé, pensant que l’article disparaitrait sans faire de vague nauséabonde. Cependant, les années passent et régulièrement cet article est cité, des journalistes m’interrogent inutilement, car je ne parle plus des odeurs du métros, ne souhaitant pas être négative. Aujourd’hui, un journaliste est tombé sur le votre et souhaite me poser des questions d’après l’enquête que la RATP m’a demandé sur les odeurs du métro….!
    Votre article, le n-ième qui copie/colle celui de Mlle Bounoua, m’incite à vous laisser un commentaire: J’aime les gens, j’aime la vie, je pose un nez positif sur notre quotidien odorant, et je suis vraiment triste quand mon nom est associé à un tel assortiment de mots qui deviennent violents, vulgaires, et arrogant lorsqu’ils sont sortis de leur texte originel .
    Je n’ai jamais été employé par la RATP pour mettre mon nez partout comme un toutou obéissant.
    N’hésitez pas à me poser vous même vos questions et je vous répondrais sans souci
    Belle journée
    Céline Ellena

    • Merci à Ellena pour cette mise au point pertinente et sincère,désolée que son travail ait été instrumentalisé par cette journaliste en quête de reconnaissance et qui a trahi en quelque sorte ses engagements vis-à-vis d’elle. Mais vous touchez là des codes qui ne concernent que très peu de jeunes journalistes. L’identité, la quête personnelle, la fidélité à la parole donnée, qu’est-ce au pays du virtuel, des blogs, des tweets: il faut faire le buzz point barre. il n’empêche que votre mise au point m’a beaucoup plu et que pas mal de journalistes devraient en prendre de la graine. Le monde des odeurs, monde de l’humain,est très subtil et complexe, moi j’ai un « petit »nez à côté du vôtre, mais je suis toujours étonnée de la « cécité » des gens que je côtoie en matière d’odeurs, on dirait que presque personne ne s’y intéresse, qu’il faut toujours masquer, taire, mentir à ce sujet. La mode de l’épilation pour femmes et hommes, de tout le corps, participe de l’ignorance et d’une certaine peur des odeurs, des miasmes, des remugles. Hier soir, nuit de pleine nuit « bleue », là où je vis, il est tombé quelques gouttes, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de deux mois, et bien quelle merveille cette odeur de terre, de buissons soudain recouverts d’une petite pluie hélas trop brève, sans parler de la couleur de la lune. J’étais la seule à la fenêtre pour respirer tout çà. A bientôt Ellena sur votre blog si rare.

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