Non, l’Afrique n’a pas besoin des riches pour se nourrir


Les riches (européens et américains) ont beau jeu de se draper dans leurs habits humanitaires en se posant comme ceux qui doivent nourrir neuf milliards d’hommes. Ils se trompent. Ceux qui relaient les injonctions dont nous inondent la FNSEA, l’INRA et tous ceux qui défendent le modèle productiviste et industriel sont coupables d’entretenir de fausses idées : non, l’Afrique n’a pas besoin de nous pour se nourrir.

Il y a déjà trente ans, le Nigérian Godfrey Nzamujo crée le centre Songhaï, à Porto Novo alors capitale du Bénin. Petit-fils d’esclaves américains, Nzamujo s’est formé en biologie en Californie avant de revenir sur la terre de ses ancêtres, en pleine guerre du Biafra. Proche du père Lebret, il devient dominicain et s’installe au Bénin. Songhaï ? Oui, un nom qui rappelle ce puissant empire africain du 15e siècle allant du Nigeria au Mali et dont Gao était la capitale et qui s’est effondré au 16e siècle. Le centre Songhaï signe une démarche agroécologique pour se débarrasser des engrais venus des pays riches, coûtant trop cher. Pour améliorer la formation, la fabrication des outils, la circulation des produits agricoles jusqu’aux marchés des villes. Et, finalement, lutter contre la concurrence des produits importés qui désespère les producteurs locaux.

Nzamujo fonde une école polytechnique, dédiée à la ruralité et à l’agriculture. Dans la plupart des pays africains, l’enseignement agricole n’existe pas, poussant des millions de jeunes vers le secteur informel. L’école aujourd’hui est installée sur un campus de plus de 20 ha, accueille 1000 étudiants et vingt fois plus de visiteurs.

Que voient-ils ? Des apprentis qui épandent des  micro-organismes pour fixer l’azote de l’air, des sels minéraux et de la fumure animale ou végétale. Les rendements sont excellents : 2 à 3 t pour le soja, 3 à 5 t pour le maïs ! Mais ce n’est pas tout : les producteurs pratiquent l’économie circulaire avec enclos pour les volailles, les porcs, viviers de poissons, tous nourris avec des résidus de transformation végétale comme le tourteau d’huile de palme ou le son de riz. Les déchets de l’abattage, les eaux grasses usées et filtrées par des plantes comme les jacinthes sont utilisés comme nourriture animale ou déchets organiques produisant du  biogaz pour la cuisine.

Les machines sont entretenues et louées par des ateliers appartenant à Songhaï. La rizerie industrielle, l’usine de conditionnement d’eau (6000 bouteilles l’heure),  la récupération des plastiques pour la production d’emballages, tout cela se fait en économie circulaire, sans aucune subvention de l’État béninois et de l’étranger. La vente des produits agricoles ou industriels rapporte jusqu’à 43% des recettes de Songhaï en 2013. Songhaï est ainsi devenu un gros village avec un hôtel, une piscine, un cybercafé, le tout finançant la formation.

Plus de 3000 personnes ont été formées à Songhaï depuis 1989, à raison d’un coût allant de la gratuité pour les Béninois à 260 euros par mois pour les autres (compter 30 mois pour une formation complète, mais selon le niveau, trois mois peuvent suffire).

Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, en visite à Songhaï a félicité ceux qui ont eu « cette initiative pour réduire la pauvreté », en plaidant pour sa duplication dans d’autres régions de l’Afrique subsaharienne. Loin des échos des tribunes occidentales où les productivistes veulent écouler leurs surplus et chercher des débouchés.

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Pour en savoir plus : Songhaï


5 réponses à “Non, l’Afrique n’a pas besoin des riches pour se nourrir”

  1. Excellent article, clair, la relation à la nourriture et donc à l’agriculture anciennement dite vivrière, à la culture et à l’histoire de Songhaï y est décrite de façon magistrale.
    Gao, l’empire du Mali, j’ai souvent entendu parler de Gao et de Kayes par des parents qui achetaient des légumes variés provenant de petites exploitations familiales . Mais ça ça fait longtemps, longtemps avant l’agriculture intégrée et tous ses intrants,avant les ravages du modèle de Monsanto et autres chimiquiers; les sauterelles, la sécheresse, la disette faisaient hélas aussi partie du paysage, mais avec l’agro-business, les engrais et les variétés OGM,l’exode rural, la désertification, c’est encore plus vrai!

  2. La fin des faims.
    Effectivement, bel article aussi magistral que documenté, saupoudré d’un soupçon de provocation stimulante. Voici un bel exemple d’organisation locale stable visant à « éradiquer » l’extrême pauvreté et la faim, notamment en Afrique, d’autant que cette initiative s’inscrit directement et totalement dans la dynamique de l’OMD des nations unies. Mais n’oublions pas cependant, qu’il n’y a pas que des productivistes en occident, et que l’aide et l’action des pays riches à combattre la misère du monde n’est pas qu’inutile et inefficace. Elle aura tout de même permit de diminuer le nombre de Personnes souffrant de la faim dans le monde de 1.9 Milliards en 1990, à 836 millions aujourd’hui. Certes, les producteurs de poulets industriels de la métropole, par exemple, très opposés aux fermes des 1000 vaches entre autre, réalisent toujours d’importants bénéfices en « inondant » les pays pauvres de cet viande « artificielle » bon marché, tuant ainsi la production locale à coup de bonne conscience. Lorsque l’on sait que l’origine de la pauvreté et de la faim est massivement liée aux conflits, l’action de la France ne peut pas être non plus résumée à un concept de fausse idée. Aider les pays pauvres à sortir de leur misère par eux même demeure l’idée maitresse et moderne du nouvel humanisme international. Quand à la possibilité d’échapper aux traitements chimiques des cultures, ceci demeure à mon sens pour l’occasion une idée fausse. Tout un chacun ayant le privilège de cultiver un potager sait bien que ni le purin d’orties, ni l’eau savonneuse et le marc de café, ni le fumier de mouton ou de poule ne suffisent à éviter le vers des carottes ou du chou, sans parler du mildiou ou du doryphore dévastateur. La production agricole nourricière, ne peut pas systématiquement et dans la durée, se satisfaire d’une ruralité archaïque appelée BIO, et malgré l’initiative salutaire, encourageante et louable du Bénin, il manquera toujours au bout de compte, l’exterminateur de vermine et le régulateur d’invasion d’insectes ou de mauvaises herbes. Il nous appartient effectivement de trouver une solution moins tueuse de planète que la monopolistique utilisation des remèdes prônés par nos très bienveillantes multinationales, qui croient bien que la fin de leur rêve expansionniste n’est pas pour demain tant que le monde aura faim. Ce bel exemple des pays du Songhaï commence à démonter qu’ils ont tord. Ouf !

  3. De la lecture de l’interview de J.Caplat, je retiens deux points :
    – Une farouche volonté de s’opposer à l’ordre établi.
    – La nécessité d’un changement de paradigme dans le monde agricole.
    Sur le premier point, cette idée de révolution sortant totalement de mon champ de compétence, je ne me risquerai pas à en débattre sur votre BLOG.
    Par contre, le second, touche à la transformation des méthodes agro-alimentaires actuelles en Europe, et J. Caplat porte effectivement l’accent sur les bienfaits escomptés et quelque peu prouvés des méthodes de l’agriculture BIO. Il serait vraiment déraisonnable de contredire de pareils arguments dont le bon sens est évident. Ce qui fait cependant cruellement défaut, c’est la vision claire de la marche à suivre pour y parvenir simplement et de manière continue en Europe. La transformation est colossale, les implications financières et économiques tellement nombreuses qu’il n’est absolument pas possible d’imaginer qu’un tel bouleversement s’opère sans destructions du monde existant et donc par un retour aux origines d’une ruralité archaïque. (Je maintiens)
    Qui plus est, totalement surendettés et prisonniers du tourbillon productiviste pour de simples raisons de survie, les agriculteurs de France n’ont d’autres choix que d’adopter les méthodes très adaptées à leur activité, des fournisseurs de produits efficaces. Par exemple, qui pourrait contester l’intelligence intrinsèque de l’utilisation des OGM résistants aux herbicides, ou celui des produits durcisseur de tige des céréales pour éviter les dégâts du vent et des intempéries ? L’épuisement des sols est totalement secondaire puisque engrais et assolements y pallient systématiquement. La pollution des nappes phréatiques superficielles par l’adjonction de produits stables est entièrement détournée puisque les techniques actuelles permettent des forages à grande profondeur.
    Un tel enchevêtrement de logiques performantes ne peut être contrarié par quelques argumentaires de simple bon sens, c’est du moins mon avis. Il est vrai qu’en inversant la formule triviale qui définit le BIO de « Fausse promesse et vrai marketing », la vraie promesse est malheureusement très desservie par un marketing désuet.
    Il y va de l’agriculture comme du global change, la spirale nauséabonde du jusqu’auboutisme ne trouvera qu’un obstacle sérieux, un frein définitif et totale : l’épuisement des ressources pétrolières.
    Je crains personnellement que d’ici là, les fermes des 1000 vaches computorisées continueront de fleurir, (de nombreuses exploitations en sont déjà à plus de 500), l’équeutage des porcs restera une pratique courante, et l’alternance des cultures n’existeront que par apport de rentabilité, même si cela est fortement à terme Eupopicide et condamnable.
    Ceci n’exclut pas, et cela était le fond de mes propos initiaux, que des tentatives plus adaptée à une géographie, un climat, une culture différente et à une économie durable, soient porteuses d’avenir et bienvenue pour la survie de l’humanité, ou du moins pour celle des Populations avoisinantes.
    La question qui se pose à présent est de savoir si vous allez continuer à me donner tort ?

    • Personne chez les agroécologues ne parlent de retour à retour à¨une ruralité archaïque. Les agroécologues sont des savants qui nieraient que le sol, c’est secondaire, alors que nous pensons que leur situation est dramatiques. QUand les Bretons et les Hauts-Saônois ne peuvent plus boire d’eau des sources, où est le problème que vous ne voulez pas voir. Quant aux animaux dont vous acceptez qu’ils soient maltraités, qu’ils meurent entassés dans des camps de concentration pour qu’on puisse manger une viande pleine d’antibiotiques et autres cochonneries, j’ose espérer qu’il ne s’agit que d’une question de génération et que dans trente ans (oui, je l’accorde, il vous faut du temps, que les maladies et les suicides des agriculteurs continuent), on sera entrés dans un autre monde.

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